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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/782

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préparée par l’éducation atavique, qui ne peut d’ailleurs exercer d’autre métier que le métier des armes. Il prétend en barrer l’accès au flot montant de la roture. « Un homme de condition, lit-on dans ses Mémoires, un bon et ancien gentilhomme, ne veulent plus rester dans l’état subalterne, parce qu’ils s’y trouvent confondus avec trop de personnes d’un rang inférieur. » Aussi, s’il lutte, comme nous verrons bientôt, contre l’abus de la vénalité des charges, c’est avant tout dans l’espérance d’écarter de l’armée ceux qui, selon son expression[1], « sortis de la lie du peuple, ont amassé assez d’argent pour acheter les grades, sans avoir besoin de servir ni d’essuyer des coups de fusil. » — « Comme l’état militaire, fera-t-il encore observer[2], ne donne pas de quoi vivre, on n’y peut admettre que les gens qui ont du bien, et ce n’est pas toujours de la noblesse, ce qui est déjà un grand vice. »

Mais, s’il partage à cet égard le préjugé courant, il ne peut voir sans impatience et sans indignation les avantages presque exclusifs réservés par l’usage aux grands seigneurs, aux hommes de Cour, qui accaparent à leur profit tous les hauts grades et tous les emplois lucratifs. Il est certain que, dans les vingt dernières années de l’ancienne monarchie, l’Almanach militaire est, sur ce point, déplorablement instructif. En 1775, on compte neuf maréchaux de France, cent soixante-quatre lieutenans généraux, trois cent soixante et onze maréchaux de camp, quatre cent quatre-vingt-deux brigadiers, au total mille vingt-six officiers généraux, tous choisis dans la grande noblesse et coûtant au Trésor environ quinze millions par an, tandis que les autres officiers de l’armée en coûtent à peine dix à eux tous. Pendant ce temps, les petits gentilshommes végètent, sans espoir d’avancer, dans des grades inférieurs, dotés, après de longs services, de si maigres retraites, qu’on voit souvent de vieux chevaliers de Saint-Louis, tout criblés de blessures, cacher leur croix dans le fond de leur poche et « se louer » pour battre le blé ou pour travailler à la terre.

De cette classe sacrifiée, Saint-Germain se fait l’avocat, le soutien déclaré. Pour eux, pour leurs enfans, il ouvrira de nouvelles écoles militaires. Il cherchera, par mille moyens, à leur faciliter l’accès des grades supérieurs de l’armée, en

  1. Mémoires de Saint-Germain.
  2. Correspondance avec Paris-Duverney.