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s’emportera jusqu’à menacer le ministre « de lui en demander raison, l’épée à la main, » et il faudra, pour arranger l’affaire, l’intervention de Marie-Antoinette[1].

C’est grâce à de pareils procédés qu’après une année de pouvoir, de tous côtés des nuages se forment, assombrissent l’horizon autour de Saint-Germain. Il n’a plus seulement pour ennemis, comme dans les premiers temps, les grands états-majors, les chefs des corps privilégiés, les titulaires de sinécures ; il s’est, de plus, aliéné la confiance des troupes et des bas-officiers. Il est suspect comme étranger ; on lui reproche ses allures « germaniques » et l’ignorance du caractère français. Il est suspect encore comme dévot, comme « ancien jésuite, » ayant conservé les idées et les préjugés de son ordre. Le vide se fait autour de lui. « Son audience est déserte ; on le fuit plus qu’on ne le recherche[2]. » Aussi Maurepas, prompt à prendre le vent, se détache chaque jour davantage d’un homme qui a soulevé trop d’hostilités contre lui. Il le ménage pourtant, dans une certaine mesure, ne se presse pas de le faire renvoyer, parce qu’il se rend compte que, malgré tout, ce maladroit fait œuvre utile et pense qu’il sera temps de s’en débarrasser lorsqu’il aura terminé une besogne dont nul autre, sans doute, ne voudrait se charger. Du moins est-ce le calcul que lui prêtent bon nombre de gens[3]. Mais, s’il patiente encore, il contrecarre sous-main ses principales opérations, le dénigre, le raille impitoyablement, en attendant que, par une manœuvre sournoise, comme on verra bientôt, il le mette en lisières.

Seul Louis XVI, au milieu de toutes ces défections, persiste à soutenir l’honnête homme dont il goûte la droiture, le défend au besoin contre certaines attaques et, tout en s’effrayant souvent quand il le voit toucher à de trop puissans personnages, lui témoigne hautement son estime. « Je le perdrais avec peine, écrit-il, connaissant tout son dévouement et sa capacité pour me servir[4]. »

Il fallait ce haut patronage pour réconforter Saint-Germain lui faire avaler ses déboires, combattre le découragement dont

  1. Correspondance secrète publiée par M. de Lescure.
  2. Correspondance de Métra, 15 juin 1776.
  3. Ibid. — 24 août 1776.
  4. Lettre du 6 septembre 1776. — Portraits intimes du XVIIIe siècle, par MM. de Goncourt.