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par la tendance même de la poussée originelle. Quoi qu’il en soit des remous stationnaires ou des régressions momentanées qu’on y observe çà et là, son flot marche dans un sens défini, son flot monte et s’élargit toujours. Pour qui regarde la ligne générale du courant, l’évolution est croissance. D’autre part, il y aurait illusion naïve à la croire aujourd’hui terminée : « les portes de l’avenir restent grandes ouvertes. » Du stade actuellement atteint, l’homme occupe le sommet ; il marque le point culminant où la création continue ; en lui, la vie a déjà réussi, au moins jusqu’à un certain degré ; à partir de lui, d’ailleurs, elle procède avec conscience capable de réflexion ; n’est-il point par là même responsable de la suite ? Vivre, selon la philosophie nouvelle, c’est toujours créer du nouveau, du nouveau, — entendons bien, — qui soit croissance et progrès par rapport à l’antérieur. La vie, en un mot, est marche à l’esprit, ascension dans une voie de spiritualisation croissante. Tel est au moins le vœu profond, telle la tendance première qui l’a lancée et qui l’anime. Mais elle peut défaillir, s’arrêter ou redescendre. Ce fait indéniable, une fois reconnu, n’éveille-t-il pas en nous le pressentiment d’une loi directrice immanente à l’effort vital, loi que n’enferme sans doute aucun article de code et dont l’empire ne s’établit pas fatalement par un effet de nécessité mécanique, mais qui se définit à chaque moment et qui à chaque moment aussi marque une direction de progrès, comme la tangente mobile qui enveloppe la courbe du devenir ? Ajoutez que, selon la nouvelle philosophie encore, tout le passé survit à jamais en nous et par nous aboutit à l’action. En agissant, il est donc vrai à la lettre que nous engageons à quelque degré tout l’univers et toute son histoire : nous lui faisons accomplir un geste qui désormais subsistera toujours et toujours teindra la durée universelle de son indélébile couleur. N’y a-t-il pas dès lors, impérieux, urgent, solennel et tragique, un problème de l’action ? Je dis plus. La mémoire fait du mal comme du bien une réalité persistante. Où trouver le moyen d’abolir, de résorber ce mal ? Ce qu’on appelle mémoire dans l’individu devient tradition et solidarité dans la race. D’autre part, une loi directrice est immanente à la vie, mais comme un appel à se transcender sans fin. Devant ce futur transcendant à l’actuel, devant cet au-delà de l’expérience présente, où puiser la force inspiratrice ? et n’y a-t-il point lieu de se demander si des intuitions