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du gouvernement n’étant pas mise en question, il ne semblait pas à beaucoup de gens qu’il y eût lieu de s’émouvoir. » Les ouvriers se tenaient à l’écart, comme s’ils éprouvaient une joie secrète à voir se retourner contre le Parlement la violence dont celui-ci avait usé vis-à-vis d’eux, trois ans et demi auparavant. Le souvenir des journées de Juin planait sur le Deux-Décembre… Virtuellement, selon la prophétie de M. Thiers, l’Empire était fait. Le Sénatus-consulte, qui le proclama dix mois plus tard, ne fut, dans l’opinion de tous, qu’une formalité. »

On a mis en doute la part effective de Louis-Napoléon au coup d’État. On en a reporté toute la charge sur Morny et Persigny. M. de Freycinet ne croit pas à cette supposition hasardée. Il la détruit d’un coup en produisant ce billet du prince à l’un de ses ministres, Lefebvre-Duruflé, le 1er décembre : « Je n’ai pas le temps de vous expliquer pourquoi je ne vous ai pas mis dans mes confidences et pourquoi je vous remplace momentanément. Mais croyez que je vous conserverai toujours les mêmes sentimens de haute estime et d’amitié… Demain l’Assemblée sera dissoute. » Et M. de Freycinet ajoute : « Le tout, billet et adresse, est de la main du prince. L’écriture est ferme, régulière, sans aucune trace d’hésitation. Peut-on supposer que l’homme qui envoyait de telles missives, à pareille heure, n’était pas absolument maître de lui-même ? Non, il n’y a pas de doute ; Louis-Napoléon fut bien, jusqu’à la dernière minute, le cerveau qui conçoit et la volonté qui dirige. La responsabilité du coup d’Etat lui appartient tout entière. »

Dans ces circonstances, quelle a été l’attitude réelle de Dupin, président de l’Assemblée Législative ? Si l’on en croit l’historien du Deux-Décembre, Eugène Ténot, ce n’est que sur la violente insistance de représentans, tels que Canel et Favreau, que Dupin se décida à quitter l’hôtel de la Présidence pour se rendre à la salle des séances, vers dix heures du matin, au moment où l’on expulsait les quarante représentans qui y avaient pénétré. C’est dans la salle Casimir-Perier que Dupin, prenant l’écharpe que lui tendait Desmousseaux de Givré, balbutia quelques mots sur le respect dû à la Constitution. « L’effet produit par ces paroles, dit Ténot, est pour ainsi dire photographié dans ce mot brutal d’un soldat à l’un de ses camarades : « Ça, c’est de la farce ! » Apostrophé durement par les représentans qui lui reprochaient sa pusillanimité, Dupin répondit : « Nous avons