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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/873

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Hélas, nul Dieu, nul Dieu ne parle par leur ombre ;
Aucun tragique jet de flamme et de fierté
N’émane de ces corps, qui, détachés des nombres,
Sont tombés dans le gouffre où rien n’est plus compté…

Ainsi je m’en irai, cendre parmi les cendres ;
Mon regard qui marquait son sceau sur le soleil,
Mes pas qui, s’élevant, voyaient les monts descendre,
Subiront ce destin singulier et pareil.

Je serai ce néant sans volonté, sans geste,
Ce dormeur incliné qui, si on l’insultait.
Garderait le silence absorbé qui lui reste.
N’opposerait qu’un front qui consent et se tait.

— Ah ! quand j’étais si jeune et que j’aimais les heures
Par besoin d’épuiser mon courage infini.
Je songeais en tremblant à la sombre demeure
Qu’on creuse dans le sol granuleux et bruni ;

Mais rien n’irritera l’épave solitaire ;
La peur est aux vivans, mais les morts sont exclus.
Quoi, rien n’est donc pour eux ? Quoi ! pas même la terre
Ne se fera connaître à leurs sens révolus ?

Rien ! voilà donc ton sort, âme altière et régnante ;
Voilà ton sort, cœur ivre et brûlant de désir ;
Regard ! voilà ton sort. Douleur retentissante,
Voilà votre tonnerre et votre long loisir !

Rien ! oui, j’ai bien compris, mon esprit s’agenouille ;
Je jette mon amour sur cette humanité
Qui, toujours encerclée et prise par la rouille,
Transmet l’ardent flambeau de son inanité.

Ainsi, je sais, je sais ! Accordez-moi la grâce
De souffrir à l’écart, de laisser à mon cœur
Le temps de regarder les univers en face
Et de ne pas faiblir de honte et de stupeur :