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jeunes élèves, déjà capables, à dix-huit ans, de converser avec un Allemand ou avec un Anglais quelconque, il fallait donc avoir quelques lycées anglais et quelques lycées allemands où, depuis le concierge et les domestiques jusqu’au proviseur, en passant par les maîtres répétiteurs, tout le monde parlât, en dehors de la classe, l’idiome adopté. Les enfans eussent été, sous ce rapport, dans des conditions se rapprochant autant que possible de celles d’un séjour à l’étranger. Ajoutons qu’ainsi les classes proprement dites eussent été débarrassées de ce souci maladroit d’enseignement direct, dont il a bien fallu, tout récemment, avouer enfin la faillite.

A son tour, la classe, la classe éducative et formative devait avoir, à plus forte raison, ses maîtres spéciaux. Pour que chacun parle bien et pense juste, il faut que chacun sache surtout bien parler sa propre langue, je veux dire celle que sa profession, son groupe social s’est choisie dans l’ensemble de la langue commune. De cette façon, chacun aime surtout à parler de ce qu’il sait, de ce qu’il connaît, de ce qu’il pratique tous les jours, et ce n’est pas, pour le rappeler en passant, le plus mauvais moyen de s’élever, par la voie de l’analogie, à une connaissance exacte du reste. Quand certains Méridionaux de pays écartés veulent parler le français proprement dit, ils se laissent aller, à propos de riens, à des locutions emphatiques et ridicules dont Alphonse Daudet est bien loin d’avoir épuisé les tartarinades. Quand ils parlent entre eux dans leur patois, ils ont des finesses d’observation et des malices à rendre des points au plus spirituel de leurs railleurs. Les femmes ont depuis longtemps la réputation de bien parler et de bien écrire le français ; pourtant, dit-on, elles ne savent pas le latin. Sans doute, mais quoiqu’elles parlent beaucoup, on peut généralement dire d’elles ce que Mme de Rémusat dit si finement de l’impératrice Joséphine : « Son éducation avait été assez négligée, mais elle sentait ce qui lui manquait et ne compromettait pas sa conversation : elle trouvait aisément à dire les choses qui plaisent. » Les hommes ne se préoccupent pas autant de plaire et ils ont, — jusqu’ici du moins, — des sphères d’action infiniment plus étendues ; ils y touchent bon gré mal gré à beaucoup plus de choses et ils y sont bien obligés, eux, de « compromettre » leurs conversations et leurs écrits. Or, il n’y a rien de plus compromettant que d’essayer de sortir, — prématurément !