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ce qui est plus grave et ne saurait se chiffrer, ce sont les conséquences lointaines, faillites, emprunts onéreux, mesures coûteuses de préservation ou d’assurance ; c’est surtout le préjudice moral. Les grèves ont jeté le discrédit sur nos compagnies de navigation, sur nos ports, sur nos fournitures. Celles-ci sont tenues pour irrégulières, nos bateaux réputés ne jamais partir à temps. Les voyageurs se détournent de nos lignes de paquebots.

Ils s’en détournent d’autant mieux que nos concurrens, s’empressant d’exploiter contre nous et de grossir nos misères, représentent nos bateaux comme dangereux autant qu’incommodes. Les grèves sont accompagnées de violences : elles ne retardent pas seulement les voyages, elles les compromettent en provoquant des actes de sabotage ou tout au moins d’indiscipline.

Telle est du moins la menace dont on effraie nos cliens étrangers. L’attitude des inscrits lui donne une apparence de bien-fondé. On les voit, inconsciens de leur responsabilité comme de leurs intérêts, suivre les meneurs pour les motifs les plus futiles. Sous la surface de l’agitation marseillaise on discerne plus d’ambitions personnelles et de questions politiques que de difficultés d’organisation professionnelles. Et par ailleurs ces gens, dont les pouvoirs publics ont toléré tous les excès, ignorent le respect des lois. Au début de 1910, une délégation du Comité central des armateurs, composée de vingt-cinq d’entre eux, représentant toutes les variétés de la navigation, s’adressa vainement aux ministres de la Marine et du Commerce et au président du Conseil : « L’anarchie, put-elle leur dire, règne maintenant à l’état endémique abord de nos navires, et la cause de ce mal, il ne faut pas la chercher ailleurs que dans la non-application des lois et règlemens... Les inscrits proclament partout, ils écrivent, ils impriment cette déclaration saisissante : « La loi n’est que ce que le travailleur veut qu’elle soit. »

En fait, ils ont réclamé le droit de grève contrairement au décret-loi de 1852. Le gouvernement, docile à leurs objurgations prépare une révision de ce décret qui leur donne satisfaction, mais porte à la discipline un tel coup qu’il soulève les protestations de tout l’armement. Les inscrits le tiennent cependant pour acquis. Ils profitent du moment où leur bateau est sur le point d’appareiller pour produire brusquement des réclamations