Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
441
MULHOUSE.

pain[1]. La journée de travail durait treize ou quatorze heures, et les enfans, dont beaucoup ne comptaient pas sept ans, étaient astreints au même régime que les hommes faits. La vie moyenne pour les fileurs ne dépassait pas dix-sept ou dix-huit ans, alors qu’elle était plus du double pour les autres habitans. La main-d’œuvre, vers 1830, était de 8 500 000 francs partagés entre 18 000 ouvriers des deux sexes, ce qui fait, en moyenne, pour 300 journées de travail dans l’année, 1 fr. 75 par journée. On devine ce que pouvait être la situation morale.

Les Mulhousiens s’étaient appliqués très tôt à lutter contre la misère ouvrière, mais toutes les tentatives de la charité privée avaient été inutiles ; bien plus, elles alimentaient une misère volontaire. Il fallait découvrir le moyen efficace de combattre cette misère. Réduire les heures de travail, élever le taux des salaires n’était possible que par l’accord de tous les fabricans du monde ; sinon, c’était ruiner ceux qui y auraient consenti et leurs ouvriers, et enrichir les autres. Pourtant, dès 1828, la Société émettait une proposition tendant à fixer l’âge et à diminuer les heures de travail des jeunes ouvriers et tâchait plus tard que l’État proscrivît le travail de nuit pour les femmes et les jeunes gens au-dessous de dix-huit ans. Elle comprit tout de suite qu’il fallait intervenir dans l’existence de l’ouvrier, sans que cette intervention se traduisît par des dons. Soit qu’elle groupât une association pour prévenir les accidens du travail, soit qu’elle soumît à un contrôle périodique et sévère les appareils à vapeur, soit qu’elle constituât des pensions de retraite, soit qu’elle inspirât une association qui faisait visiter par des sages-femmes les nouvelles accouchées et leur payait avec les layettes et le lait leur salaire entier jusqu’à leur complet rétablissement, elle devança sur presque tous les points son temps. Et il faut ajouter, soit qu’elle les organisât elle-même, soit qu’elle encourageât l’initiative privée, l’Institut des pauvres, chargé d’accorder des secours en alimens, en combustibles, en argent, des asiles de vieillards, des hospices, des ouvroirs, des jardins d’enfans, des orphelinats, des patronages de quartier dirigés par des dames patronnesses, des sociétés de secours mutuels, des caisses d’épargne et de prêt, des associations corporatives, enfin tout

  1. Les Institutions ouvrières de Mulhouse et des environs, par Erg. Veron. Hachette, éd. 1860.