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Car, par une tolérance qui dégénère vite en abus, les gardiens sont autorisés à louer à leur profit certaines pièces plus spacieuses, plus habitables que les autres, pour lesquelles ils réclament des prix « exorbitans. » Quelques-uns se font de la sorte « un revenu énorme… » Bref, comme dit le mémoire, en des lieux destinée à venger la morale et à faire régner la justice, on ne voit que « licence, désordre et anarchie. »


Pour mettre un terme à cet état de choses, le premier soin du directeur général des Finances fut de créer des inspecteurs spéciaux, chargés de rendre compte aux magistrats supérieurs de chaque Cour des faits qu’ils auraient remarqués et de tenir la main à « la stricte observance de tous les règlemens[1]. » Ces inspecteurs devront réprimer sévèrement les exactions, les abus de pouvoir, les brutalités des guichetiers, veillera ce que les hommes et les femmes soient détenus, autant que possible, en des lieux séparés, qu’une division semblable soit établie entre les prisonniers enfermés « pour causes criminelles » et les simples prévenus, établir, en un mot, dans les prisons du Roi la décence et l’humanité, et, comme l’écrit Louis XVI, « prêter une main secourable à ceux qui ne doivent leur infortune qu’à leurs égaremens d’un moment. »

Necker ne s’en tenait pas là. A son instigation, une décision royale du 30 août 1780 établissait, « sur le terrain et dans les bâtimens de l’hôtel de la Force, » une maison destinée « aux prisonniers civils qui, jusqu’à présent, ont été confondus, dans les prisons de notre bonne ville de Paris, avec les criminels de toute espèce. » — « Cette nouvelle institution, lit-on[2] dans la déclaration du Roi, a paru d’autant plus utile qu’en remplissant nos vues de justice et de bienfaisance, elle sera le modèle de tous les asiles de ce genre. » Dans cette « prison modèle, » les sexes étaient séparés, les occupans groupés, selon les cas, en des catégories distinctes et isolées les unes des autres, pour recevoir des traitemens différens, le Roi ne voulant pas « que des hommes, accusés ou soupçonnés injustement, et reconnus ensuite innocens par les tribunaux, aient subi d’avance une punition rigoureuse, par leur détention dans des lieux ténébreux et malsains. » Par une autre disposition, qui fait honneur

  1. Manuscrit conservé dans les archives de Coppet.
  2. Archives de Coppet.