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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/877

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A présent, compagnon naïf, reposons-nous
Dans ce vallon tranquille, à l’abri de ce houx,
Et, sur le fin tuyau cher encore au Silène
Que divinise un rêve et qu’embaume une haleine,
Après avoir charmé tes bêtes charme aussi
Mon oreille attentive à ton souffle adouci.
Plie aux grâces d’accords mesurés, au délice
De la cadence, un cœur qui dans le tien se glisse,
Et ne sois pas distrait par ces boucs ombrageux
Dont le front s’entre-choque en de féroces jeux.
Ni par ce chevreau souple, ivre d’indépendance
Et qui dans la lumière harmonieuse danse.

L’ABSENT


Encore un de perdu pour la terre. Encore un
Qui, lorsque tombera le crépuscule brun,
Ne viendra plus, lassé d’une saine fatigue,
Vers le seuil qui l’attend comme l’enfant prodigue.
Au maternel foyer rien ne l’a retenu.
Ni le berceau natal, ni l’attrait ingénu
Des premiers jeux au fond du verger qui s’afflige.
Triste fleur par l’orage arrachée à sa tige,
Il vivra désormais languissant et flétri
Loin du sol qui l’avait si tendrement nourri,
Où prospérait sa race enracinée et forte ;
Puis, au hasard roulé par le vent qui l’emporte.
Sans solide soutien, ni tutélaire appui,
Il sera dans l’air lourd des villes aujourd’hui
Un de ceux dont se meurt l’ancienne et fière souche.
Dieux agrestes, veuillez que cet appel le touche
Et que, transfuge ingrat, volontaire exilé,
Quelque jour il retourne au logis consolé.
Veuillez, agrestes Dieux, que ces vers aient le charme
De ramener l’absent au vieux toit qui s’alarme,
Pour qu’il y continue, obscur, mais sans remords,
L’humble tradition qu’ont transmise les morts.
Et qu’enfin, retrouvant l’infaillible équilibre.
De l’esclave avili renaisse un homme libre.