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encombrés d’une ménagerie, où voisinaient les singes, les chiens savans, des martres, des perroquets et jusqu’à des corbeaux apprivoisés et faisant l’exercice. Après la déroute de Crefeld, les coureurs ennemis pillèrent le camp français. On y trouva une foule de secrétaires, de cuisiniers, de danseurs avec leurs danseuses, des tables chargées de vaisselle et d’argenterie, des objets de toilette et d’ajustement féminin, de la parfumerie en profusion, parasols, manchettes, eau de lavande et de non-pareille !

Etonnantes armées de la guerre de Sept ans, héroïques à la fois et frivoles, valeureuses et amollies, si bien frappées à l’empreinte du siècle et qui semblent, comme une partie de la société d’alors, avoir perdu tout bon sens comme toute morale !

Carmontelle ne vit pas le désastre, il était demeuré à Wesel, avec un corps de cavalerie chargé d’assurer les communications de l’armée. Les services qu’il rendit durent être médiocres, si l’on en juge par cette déclaration de Lédans, témoin oculaire : « Tout son mérite militaire se réduisait à lever des plans dans la perfection, à découper savamment la dinde de son général et à dessiner les caricatures de toute la dragonaille de l’armée. Il plut beaucoup au duc de Chevreuse, en tapissant sa canonnière de toutes les figures des officiers de son régiment et de ceux d’Orléans, de Bauffremont et de Caraman. »

C’était, de fait, un maussade séjour que cette place forte, aux ruelles étroites, glaciale et pluvieuse. Les pauvres exilés s’y morfondaient d’importance. Quelle tristesse et qu’on était loin des petits soupers de Versailles, des « nymphes » d’Opéra, des « parades « joyeuses de Saint-Cloud et de Berny ! Une besogne sans gloire, à l’arrière-garde, nuls « lauriers » à moissonner, des bourgeois rechignes, leurs épouses sans grâces : Orléans-Dragons, Caraman, Bauffremont, Talleyrand en desséchaient de mâle rage.

Aimable, insinuant et disert, bien accueilli partout, le topographe s’ingéniait à tromper leur ennui. Il avait su, — par quel prodige ! — réunir à Wesel les élémens d’une « troupe de société » et préludait, en confectionnant des farces de caserne, à l’élaboration de ses proverbes à venir. Les acteurs s’appelaient MM. de Broglie. de Nantiat, de Comminges, de Coigny (le père de la Jeune Captive), de Chalabre, de Bullioud, presque tous jeunes officiers, pimpans sous l’uniforme rouge à col et