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en fait de prévention et de crédulité. » On comprend l’indignation de George Sand ; mais il s’y ajoutait une sorte d’étonnement, c’est que sa fille eût ainsi tourné, après l’éducation qu’elle avait reçue, — ayant été élevée « dans des conditions de bonheur, de développement, de moralité (!) qui auraient dû en faire une sainte ou une héroïne. » On comprend sa colère contre Chopin ; mais ce qu’elle lui reproche surtout, c’est qu’il n’ait pas en elle une absolue confiance. Il n’avait en elle aucune confiance. Un louche personnage, le père Brault, ayant publié contre elle un ignoble pamphlet, Chopin ne fut pas éloigné d’accueillir ces infamies. Décidément cet homme si distingué ignorait le respect qu’on doit à une femme qui a été dix ans votre maîtresse... Mais était-il bien nécessaire de nous faire pénétrer si avant dans cette intimité où on ne peut que regretter d’en savoir tant et de soupçonner le reste ?

Il faut maintenant indiquer en quelques mots quelle fut sur le génie de George Sand l’influence de ce genre de vie et de ce milieu si spécial, puisque, après tout, le seul prétexte ou la seule excuse qu’il y ait à cette inquisition dans la vie d’une femme, est que cette femme faisait profession d’écrire et que son œuvre appartient au public. Disons-le en toute simplicité : cette influence fut déplorable. Cela n’est que trop vrai : tous les romans de George Sand, appartenant à cette période, sont imprégnés des idées de Pierre Leroux, — hélas ! Cela commence avec Spiridion qui fut, comme on nous l’apprend, écrit non seulement sous l’inspiration de Leroux, mais en collaboration avec lui. Je me reprocherais de ne pas citer, comme une curiosité littéraire, ce jugement de Wladimir Karénine : « Nous n’oublierons jamais l’impression que nous fit la lecture de Spiridion, l’une des premières œuvres, si ce n’est la première œuvre de George Sand que nous ayons lue. Ce fut bien une impression d’ordre purement religieux ou philosophico-religieux qui ne peut être comparée qu’à l’action produite par la lecture de vraies œuvres religieuses ou par celle que quelques pages de Consuelo consacrées aux taborites produisirent sur l’un de nos jeunes amis, lequel, en rejetant le livre, tomba à genoux et se mit à prier du plus profond de son cœur. » On trouve, paraît-il, dans Spiridion la doctrine de Leroux sur le progrès continu, un commentaire symbolique de l’Education du genre humain de Lessing, un résumé des croyances de George Sand et une peinture des avatars successifs par lesquels passa Lamennais dans sa recherche de la vraie religion. Voilà de belles choses et qui ravissent en extase l’âme russe. Nous avouons pour notre part