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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/206

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sans compter ceux qu’il arrachera à sa victime, tandis que le vaincu sera réduit à ses propres ressources ou ne trouvera à emprunter au dehors qu’à des conditions onéreuses.

C’est donc une des illusions les plus dangereuses auxquelles une nation puisse se laisser aller que de s’imaginer que quelques milliards de numéraire et de plus nombreux milliards de capitaux disponibles lui font un rempart inexpugnable contre les attaques possibles, ou lui assurent la victoire, si elle prend l’offensive. C’est une erreur funeste de répéter, avec certains écrivains, qu’une guerre moderne implique de telles dépenses que l’Etat victorieux serait lui-même épuisé et ne pourrait tirer parti de ses succès. C’est au vaincu que de pareilles prophéties peuvent s’appliquer ; c’est lui qui verrait se réaliser les sombres prédictions d’un écrivain dont l’article a fait récemment quelque bruit[1] et qui se trompe fort, croyons-nous, en prétendant que les conséquences d’une lutte à main armée seraient également désastreuses pour les deux partis. Nous sommes d’un avis diamétralement opposé. La richesse, une certaine richesse en particulier, celle qui consiste en capitaux mobiliers accumulés sous forme d’espèces disponibles ou de titres facilement négociables, peut être, entre les mains d’hommes médiocrement énergiques, une cause d’amollissement, en même temps qu’une tentation pour des adversaires plus forts, prêts à se jeter sur cette proie et à l’arracher à ceux qui ne sont pas de taille à la défendre contre leur convoitise. Nous devons cet avertissement à notre pays, qui se distingue des autres par l’abondance de ses disponibilités, l’importance de ses réserves métalliques et le chiffre de son portefeuille étranger, plus élevé que celui d’aucune autre communauté, l’Angleterre exceptée. Gardons-nous d’ailleurs de confondre ces disponibilités avec la fortune nationale : celle-ci comprend bien d’autres élémens, représentant une part beaucoup plus forte de l’ensemble dont elles ne constituent qu’une fraction.

La fortune des Etats-Unis est évaluée à 550 milliards de francs, c’est-à-dire double de la nôtre. Cependant, dans plus d’une circonstance, en dernier lieu lors de la crise de 1907, il est apparu que la France, grâce à la fois à l’abondance de ses ressources liquides et à l’excellence de son organisation de banque,

  1. Norman Angell, Angleterre et Allemagne, n° de décembre 1911 d’Athéna.