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5 avril 1871.

C’est le jour du courrier, du moins on me le dit. Voici où nous en sommes. Les Parisiens se sont décidés à un mouvement offensif, non pas en masse et avec des femmes, mais militairement et avec des mouvemens combinés. Ce qu’ils font donne la mesure de ce qu’aurait fait la Commune contre les Prussiens. J’ai roulé dans tous les environs depuis que je suis ici ; les travaux faits par les Allemands sont quelque chose d’étonnant. Versailles n’était prenable qu’à revers, par une armée de province : Paris ne pouvait pas sortir. Mais nous nous trouvions, nous, dans une position inférieure à la leur : nous étions obligés de les laisser venir, afin de refaire et de concentrer notre armée. Celle-ci s’élevait dimanche de 60 à 70 000 hommes. Elle doit être portée à 80. Il n’y a pas encore de corps francs. Thiers, qui ne veut rien entendre et n’en fait qu’à sa tête, s’occupait exclusivement des troupes : il a réussi au delà de ce qu’on pouvait attendre, et s’il va jusqu’au bout, ce sera un résultat prodigieux qu’il aura obtenu. Moi qui avais vu les troupes sur la Loire, j’apercevais bien dans la tenue extérieure et dans la discipline un sensible mouvement de reprise. Mais jusqu’où cela irait-il ? La ligne tiendrait-elle ? Il importait absolument que le premier engagement fût un succès et que le soldat, attaqué par le Parisien, le traitât en ennemi. C’est ce qui est arrivé dimanche. Les Parisiens se sont portés sur Neuilly ; on les a repoussés. En même temps, ils ont assassiné un chirurgien qui venait à eux en parlementaire, ce qui a exaspéré l’armée. La ligne s’est monté la tête et tout le monde a voulu marcher. Le lundi on a résolu de laisser les Parisiens s’engager : ils ont donné dans le piège et tenté leur mouvement. Une colonne commandée par Flourens et Bergeret a marché sur Rueil, planté le drapeau rouge à Bougival et poussé ses éclaireurs jusqu’à Louveciennes. On les a délogés de partout, mais ils ont fui si vite qu’on n’a pas eu le temps de les tourner par le Mont-Valérien. Il y avait là de leur côté environ 2 000 hommes engagés. Du côté de Meudon l’affaire était bien plus chaude. Ils ont engagé une trentaine de mille hommes et en ont fait sortir près de cinquante. Ce n’est pas une émeute, c’est une guerre, guerre de la Commune, contre l’Etat, guerre de sécession : nous sommes en plein XIIIe siècle. De même, ce ne sont