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l’une des plus belles leçons de générosité et de sagesse politique que notre siècle ait reçues[1].

Je causais récemment de ces choses avec un Irlandais de mes amis et je lui disais : « Personne n’a fait autant pour l’Irlande qu’Arthur Balfour. » Il me répondit : « Bah ! il était terrorisé par les Moonlighters. » Je cite ce mot pour montrer à quel degré scandaleux d’injustice et d’ingratitude le parti pris peut faire descendre les esprits les plus honnêtes. Non seulement M. Balfour ne s’est pas laissé terroriser par les agisse mens révolutionnaires des partisans aveugles du Home Rule, mais il leur a fait une guerre impitoyable en usant jusqu’à la dernière limite des pouvoirs qu’une légalité exceptionnelle mettait à sa disposition. En même temps qu’il donnait aux Irlandais les moyens de vivre et de travailler, il leur imposait la paix sans laquelle le travail est impossible. M. Balfour est le grand bienfaiteur de l’Irlande, et l’Irlande n’en sait rien, ou n’en veut rien savoir.

Gladstone voyait la situation sous un aspect différent ; il avait trop vécu dans l’atmosphère parlementaire pour ne pas donner le pas aux questions politiques sur toutes les autres. Il lui plaisait d’ignorer ou, si l’on veut, d’ajourner le problème agraire pour se donner tout entier à cet amusement de vieillard qui consiste à faire, à défaire et à refaire une constitution. En 1892, il essaya, une fois de plus, si son prestige personnel ferait accepter aux Anglais une innovation dont ils avaient horreur et il plaça le Home Rule en tête de son programme. On le vit, à quatre-vingt-quatre ans, paraître sur les plates-formes électorales, aussi impétueux que les hommes de trente ans, bravant, irritant la contradiction, inaccessible à la fatigue comme à la crainte. Ce spectacle sans précédent, sans analogue, je crois, dans l’histoire parlementaire, ne pouvait manquer de produire une impression profonde sur l’Angleterre qui était fière de son grand old man, et cette impression fut pour quelque chose dans le succès électoral des libéraux. Mais cette victoire n’était qu’apparente ; la partie vitale, essentielle du pays, l’Angleterre véritable, celle qui fait la force et la richesse de la nation, s’était nettement prononcée contre le Home Rule. La pauvre

  1. Ce bel exemple n’a pas été suivi. La Prusse est occupée aujourd’hui à exproprier systématiquement ses sujets polonais qu’après un siècle et demi d’usurpation elle n’a pas encore réussi à assimiler.