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diriger le groupe irlandais pendant quelques années ; il avait été remplacé par l’habile et redoutable tacticien parlementaire qui mène aujourd’hui ses compatriotes à la victoire.

D’autres signes auraient pu encore nous éclairer : par exemple, le nouveau mouvement qui se produisait parmi les littérateurs irlandais. Il ne leur était pas possible d’employer l’idiome national, qui se meurt malgré tous les efforts tentés pour le ranimer[1]. Mais ceux qui liront les poésies de Yeats et le théâtre de Synge sentiront immédiatement, sous la phrase anglaise, un esprit tout différent. Cette originalité est voulue, peut-être ; mais elle n’en est que plus significative et l’on pourrait dire que chaque ligne ou chaque vers est une revendication de l’âme celtique qui cherche à s’émanciper et à s’affirmer.

Nous comptions surtout sans la curieuse transformation de l’esprit public qui s’était accomplie lentement, insensiblement et, pour ainsi dire, souterrainement. Au point de vue de la question qui nous occupe, deux symptômes caractérisaient l’esprit nouveau : déconsidération du Parlement et réaction contre la centralisation à outrance de l’âge précédent.

Les anciennes classes dirigeantes reprochaient au parlementarisme de n’avoir pas défendu leur monopole, et la démocratie lui en voulait de n’avoir pas tenu les promesses dont il était si prodigue au début du règne de Victoria, de n’avoir ni éteint le paupérisme, ni supprimé la guerre et le fardeau écrasant des armées permanentes. L’ouvrier, une fois entré dans le Parlement, comme dans une citadelle, paraissait plus disposé à démanteler la place qu’à y tenir garnison. Ceux qui avaient encore foi dans l’action parlementaire répétaient volontiers que le Parlement avait trop de besogne pour bien s’en acquitter, et qu’on lui rendrait service en diminuant ses attributions.

Avec ce sentiment coïncidait un étrange réveil du particularisme qui s’identifiait avec le vieil esprit de self government, par où ont commencé toutes les institutions anglaises. Il y a quelque chose qui a toujours été plus cher à l’Anglais que le Parlement, c’est la paroisse, l’unité fondamentale et primitive, apportées du fond de la Germanie. Il existe des centres provinciaux,

  1. Cinq à six cent mille Irlandais (le dixième de la population) peuvent parler les deux langues. Le nombre de ceux qui se servent exclusivement de la langue erse et qui ignorent l’anglais, est descendu, en dix ans, entre les deux recensemens de 1901 et de 1911, de 38 000 à 16 000.