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Rosebery faisait un tour oratoire dans le Cornwall et le Devonshire et y poussait vigoureusement la propagande libérale. Il protesta aussitôt publiquement contre les promesses contenues dans le discours de Glasgow et se retira de la lutte. Ses lieutenans ne le suivirent pas dans cette retraite, et, une fois de plus, le président de la New Liberal League se trouva seul. L’opportunité électorale l’emportait sur la question de principes.

L’élection générale terminée, Campbell Bannerman se vit à la tête d’une majorité tellement considérable qu’il eût pu se passer, pour gouverner, soit du vote ouvrier, soit du vote irlandais. Il sentit l’avantage de sa position et en usa. C’est pourquoi il offrit au parti que dirigeait M. Redmond la demi-mesure promise par le discours de Glasgow, sous la forme d’un bill qu’on appelait le bill de Dévolution. C’était assez, lui semblait-il, pour faire honneur à ses engagemens antérieurs et faire attendre l’autonomie définitive. Les Irlandais n’en jugèrent pas ainsi, et le bill, rejeté d’avance par eux, ne fut même pas présenté au Parlement. Cette fois encore, nous crûmes le Home Rule indéfiniment ajourné. Pour le moment, le grand moteur du Cabinet, M. Lloyd George, paraissait avoir d’autres visées, plus immédiates. Lorsqu’il présenta son fameux budget, les Irlandais se trouvèrent dans un certain embarras. Ce budget leur déplaisait fort, car il atteignait dans sa source une de leurs richesses nationales : la vente du whisky. Approuver le budget, c’était sacrifier un intérêt vital ; lui faire opposition, c’était prêter main-forte à la Chambre des Lords, que l’on savait décidée à combattre la loi de finance avec la dernière énergie. Or, la Chambre des Lords est l’ennemie irréconciliable du Home Rule. Un patriote moins résolu, un stratège moins clairvoyant que M. Redmond aurait hésité à choisir entre le Home Rule et le whisky. Sa décision fut prise immédiatement, mais il sut s’en faire escompter le mérite par le gouvernement libéral. L’histoire saura quelque chose des pourparlers qui eurent lieu à cette époque : nous les ignorons, mais nous les devinons.

Le conflit entre les deux Chambres nécessita, presque coup sur coup, deux dissolutions. Les libéraux restaient au pouvoir mais avec une majorité diminuée, et ce demi-succès des conservateurs eut pour principal résultat de placer M. Asquith, le successeur de Campbell Bannerman, dans une dépendance