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brumeuses qui permettent de reconnaitre les contours caractéristiques des promontoires, mais qui enveloppent les vaisseaux d’un voile suffisamment protecteur ; je prétends, dis-je, qu’à trois ou quatre heures du matin, à l’heure où toute veille faiblit, — et surtout la veille des Turcs ! — cette flotte aurait pu franchir les Dardanelles quasi sans coup férir, pourvu qu’elle marchât assez vite, sans hésitation, sans se soucier de l’éclat inopiné d’un projecteur[1], ou d’une canonnade incertaine, gardant elle-même le silence le plus absolu et naviguant « beaupré sur poupe, » tous feux éteints.

Un Farragut, un Roussin, un Nelson, un Dugay-Trouin n’eussent point hésité !... Rappelons-nous les beaux forcemens de passe, de Wicksburg, du Tage, de Copenhague, de Rio de Janeiro.

Et si l’on m’opposait l’exemple du passage des Dardanelles, justement, par l’escadre anglaise de Duckworth, en 1807, je ferais remarquer qu’après tout, les 7 vaisseaux britanniques se tirèrent de ce pas dangereux sans avaries majeures. Cette fois-là, déjà, les batteries turques, d’un type archaïque, — quelques canons dataient de Mahomet II et lançaient des boulets de marbre ! — mal organisées, très médiocrement servies par des artilleurs improvisés, n’étaient pas à la hauteur des circonstances. Mais quand donc les Turcs sont-ils organisés ? Ce n’est pas, assurément, en 1912...


Les Dardanelles une fois franchies, soit de jour, dans les conditions que j’ai indiquées tout à l’heure, soit de nuit, avec ou sans le secours de l’attaque à revers des batteries d’Europe, l’escadre grecque aurait eu à se mesurer avec la flotte turque ; ou, tout au moins, avec la partie de cette flotte qui flanquait, dans la mer de Marmara, l’aile gauche des lignes de Tchataldja.

Je remarquerai tout de suite que cette opération du forcement des Dardanelles ayant, de quelque façon qu’elle soit comprise, un caractère marqué de surprise, il est probable que la portion de la force navale turque employée dans la Mer-Noire au flanquement de l’aile droite des lignes, n’aurait pas eu le temps de repasser le Bosphore avant que l’escadre grecque fût arrivée au contact de la division de la mer de Marmara. Du débouché

  1. L’expérience prouve qu’il ne faut pas toujours se croire découvert lorsque l’on est accidentellement balayé par le faisceau lumineux d’un projecteur.