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machines, qu’on détruise les machines ! Puisque, dans la civilisation née de la machine, la puissance de cette oligarchie intellectuelle qui, de l’Europe, trompe et escroque la moitié du globe, est en décadence, le monde retourne à la barbarie ! Certes nous sommes d’accord : les machines, et surtout les voies ferrées, ont fait l’Amérique contemporaine. Que seraient l’Argentine et le Brésil sans les voies ferrées et les machines agricoles ? les Etats-Unis sans les voies ferrées et leurs innombrables machines agricoles et industrielles ? Nous Américains, nous adorons la machine, parce que, grâce à elle, nous pouvons exploiter nos immenses territoires dans leur largeur, dans leur longueur, dans leur profondeur, extraire de cette immensité des richesses, encore des richesses, un fleuve débordant de richesses, une miraculeuse abondance, un océan de richesses sans limites, qui couvrira le monde et qui ensevelira tous les monumens des civilisations passées...

— Nous n’en doutons pas, répondit Cavalcanti. Mais, en attendant, dans la Méditerranée close, les villes mères de notre culture, celles qui ont créé toutes les beautés dont s’orne notre existence, Athènes, Constantinople, Ephèse, Alexandrie, Rome, Venise, Florence, vieillissent, tombent en ruines, se dépeuplent, se transforment en lieux de plaisirs et en hôtelleries, tandis qu’au delà de l’Atlantique les villes-ateliers, Philadelphie, New-York, Chicago, monstres énormes, élèvent jusqu’aux nues, dans l’insolence du triomphe, leurs gratte-ciel et leurs cheminées fumantes.

— Ajoutez encore, s’empressa de répondre Alverighi avec une ironique politesse, que toute l’Europe se prépare à mettre à l’encan et à liquider cette vieille civilisation dont elle est si fière, ou du moins la partie de cette civilisation qui conserve encore quelque valeur, pour fabriquer de nouvelles machines, pour avoir plus de fer, de blé, de coton...

Mais cette phrase déchaîna une petite tempête.

— Vous voyez bien que c’est moi qui ai raison ! dit ma femme, La machine ruine les pays pauvres.

— La civilisation n’a pas besoin seulement de balles de coton et de viande réfrigérée ! protesta Cavalcanti.

— Jolie civilisation, insista ma femme, que celle où il vaut mieux pour un peuple posséder des mines de charbon qu’une ancienne tradition de culture ! Autrefois, au moins, quand l’intelligence