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d’une ville ; et même quand la maison du poète est intacte, autour d’elle tout s’est modifié. Comment retrouver la physionomie et l’atmosphère de la Florence où vécut Dante ? Tandis que dans ce petit village d’Arquà, rien n’a bougé. Les choses sont restées tellement pareilles que je ne puis, pensant à lui, les regarder sans émotion. De cette loggia, je vois ce que voyait Pétrarque. Par sa précision et son intimité, — à plus de six siècles de distance, — c’est un des souvenirs littéraires les plus poignans qui soient. Mais peut-être a-t-il pour moi un charme particulier. Les meilleures heures de ma jeunesse, je les ai vécues, au temps des vacances, sur la petite terrasse de la maison maternelle qui domine un hameau et un médiocre paysage ; j’y ai vu mon grand-père, puis mon père, emplir leurs derniers regards des mêmes horizons sur lesquels je voudrais que se ferment mes yeux... Et il m’est facile d’imaginer le poète contemplant le village et les coteaux couverts de vignes, saluant d’un mot aimable les paysans qui passent et qui ne comprennent qu’à demi comment ce vieillard courbé et tout blanc, si semblable aux autres vieillards, peut à la fois être si simple et si glorieux. Ah ! qu’elle est pathétique, cette maison où il vécut ses ultimes jours, tandis que la mort s’avançait vers lui ! Mais qu’il est regrettable qu’une respectueuse vénération ne l’ait pas conservée intacte, ou même vide, au lieu d’y avoir accumulé pêle-mêle les objets les plus divers. A la place des fresques qui représentent tant bien que mal — plutôt mal — des Pétrarques encapuchonnés et des Laures fleuries, combien les murs nus eussent été plus saisissans ! J’ignore si le fauteuil et l’armoire ont, comme on le dit, appartenu au poète. La seule chose vraiment authentique, — ironie du destin ! — est la momie de sa chatte qu’on a mise dans une niche, derrière une vitre. Cette exhibition est d’un goût aussi douteux que les vers d’un nommé Quarengo, écrits au-dessous, que je traduis par curiosité. C’est la chatte qui parle : « Le poète ‘toscan brûla d’une double flamme ; je fus son plus grand amour, Laure le second. Pourquoi riez-vous ? Si Laure était digne de lui par sa divine beauté, je le fus par ma fidélité. Si elle excita son génie poétique, c’est moi qui veillai pour que ses écrits ne devinssent pas la proie des terribles rongeurs. Vivante, j’éloignai les rats, afin d’épargner les œuvres de mon maître ; morte, je les effraie encore et dans mon corps inanimé survit mon ancienne fidélité. » N’aurait-il