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comme son nom pourrait le faire croire, mais un auteur anglais, est un pur rien. Quelques penseurs d’avant la première nous avaient suggéré que ce récit d’aventures incohérentes pouvait bien contenir une philosophie subtile et profonde. Kismet signifie : destinée. La journée d’un mendiant qui, à midi, tente d’assassiner le calife, et, le soir, marie sa fille à ce même calife, n’est-ce pas l’image elle-même de la destinée humaine ? Non. Ce ne l’est pas. C’est un conte à dormir debout, si vous voulez, mais ce n’est pas l’image de la destinée humaine. Le tailleur d’un grand-duc, ayant dissipé l’argent dont il devait acheter l’étoffe nécessaire à confectionner un costume d’apparat, fit le geste de passer à ce naïf principicule des habits d’un tissu tellement délicat qu’il en était invisible. Le peuple, un instant dupe découvrit pourtant la vérité : le grand-duc était complètement nu. C’est ici l’inverse : le costume est magnifique, mais il n’y a personne dedans.

Les habits n’habillent personne, mais qu’ils l’habillent bien ! Car, si je trouve cet étalage de mise en scène absurde, cela ne m’empêche pas de reconnaître l’art du metteur en scène. Ce que j’admire ici, plus encore que la somptuosité, c’est le goût, autant du moins que le goût est compatible avec la profusion. Chaque décor forme un tableau, d’une composition et d’une tonalité exquises ; chaque costume est par lui-même une œuvre agréable à voir et donne, non pas l’illusion d’oripeaux qui de loin font leur effet, mais l’impression d’une de ces choses rares que se disputent, pour des fortunes, antiquaires et collectionneurs. Si M. Guitry a voulu seulement, quoi qu’il dût lui en coûter, montrer, en réponse à l’invasion d’un exotisme somptueux et barbare, ce que nous pouvons faire de la mise en scène en y apportant la délicatesse traditionnelle du goût français, il y a pleinement réussi.

Ce sont, au premier tableau, les abords d’une mosquée, dans la lumière matinale. Le mendiant Haji accueille, de sa cantilène suppliante, tous les fidèles qui viennent à la mosquée faire leurs dévotions. Il en arrive, il en arrive, ex chaque nouvel arrivant porte un costume dont la richesse différente provoque dans la salle un frémissement d’aise. Les personnages enturbannés passent, sans mot dire, font un tour sur la scène et puis s’en vont. Et le défilé, une fois commencé, ne s’arrêtera plus. Il ne s’arrêtera plus jusqu’à la fin de la pièce. En effet, pour remplir les intervalles entre deux tableaux, pendant les changemens de décor, on a imaginé de faire passer devant une toile de fond des figurans superbement costumés qui entrent par un côté de la scène et sortent par l’autre, venus uniquement pour nous faire