Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un étrange scrupule à ne revêtir de précieuses qualités d’esprit ou de cœur que des personnages appartenant à l’un ou à l’autre des deux camps opposés. Il n’y a pas jusqu’au Juge styrien Joachim Handel qui, avec toute sa dureté et sa fausseté inconsciente de sectaire, ne commande pourtant notre respect par son noble courage, sa vigueur combative, et l’élan désintéressé de son patriotisme. Sans compter qu’autour de lui d’autres figures de zélés protestans, — frères, neveux du Juge, membres de son Conseil, — ne peuvent manquer de nous plaire à l’égal de leurs adversaires du parti catholique ; et au premier rang parmi eux se dresse superbement devant nous ce jeune fils du terrible seigneur et tyran de Steyer que l’on a vu, tout à l’heure, tout prêt déjà à oublier ses préventions calvinistes pour plaindre le vieil abbé étendu sur des cendres. Mais avec cela nous sentons bien que, d’un bout à l’autre du roman, l’affection de la romancière catholique va de préférence à ceux de ses personnages qui incarnent et défendent sa propre foi religieuse, depuis la foule anonyme des fidèles de Steyer, inflexibles dans leur pieuse ferveur sous la persécution, jusqu’à ces trois types divers d’activé et rayonnante beauté chrétienne que sont le Père Abbé de Garsten, son digne fils spirituel le jeune frère Albert, et la véritable héroïne du roman, l’exquise petite Stephana Schwertner.


Cette Stephana Schwertner est bien, — comme peut-être on l’aura deviné, — la « jeune vierge » aperçue par le frère Albert dans son espèce d’illumination prophétique, la « sainte » qui, à défaut du vieil abbé défunt et du frère Albert lui-même, réussira à vaincre le tyran de Steyer. Ou plutôt il nous est encore impossible de savoir en quelle mesure l’espérance merveilleuse du moine se trouvera réalisée, car le roman de Mlle de Handel-Mazzetti s’arrête avant que Stephana ait eu l’occasion d’accomplir jusqu’au bout le grand rôle religieux qui lui paraît destiné : mais l’on comprend sans peine que sa douce figure, telle que nous la voyons dès les premières pages du livre, soit faite pour éveiller dans l’âme mystique de son confesseur le rêve d’une mission surnaturelle. Je ne serais pas étonné que, pour composer cette figure de son héroïne, la romancière autrichienne se fût tout particulièrement inspirée de récits anciens et modernes, historiques et légendaires, des premières années de notre Jeanne d’Arc : et par là s’expliquerait, peut-être, l’admirable caractère de vérité et de vie dont elle est parvenue à imprégner un personnage infiniment supérieur aux créatures tout artificielles qui dominaient l’action de ses romans précédens. Je ne pourrais en tout cas mieux définir cette naïve et admirable