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et des victoires serbes, attestés par les trois cents canons turcs qui s’alignent, à Belgrade, dans la cour de la vieille forteresse. Il faut savoir toute la place que tient dans l’éducation et dans la culture serbe le souvenir sanglant du Champ des Merles (Kossovo) pour comprendre l’ardeur des troupes serbes et l’enthousiasme soulevé, dans toute la nation, par une victoire qui efface à jamais l’humiliation du désastre de 1389. Un cauchemar pesait sur la race ; il est enfin dissipé : grand exemple pour les peuples qui attendent de l’histoire des réparations nécessaires !

L’enthousiasme des Serbes s’est communiqué aux Croates, avec lesquels ils vivent mélangés tant en Dalmatie qu’en Croatie et en Bosnie. Croates et Serbes parlent la même langue et se reconnaissent pour deux fractions d’un même peuple ; mais la différence de religion et une longue histoire ont creusé entre eux un fossé profond. De nos jours une réconciliation s’opère et c’est là, pour l’avenir de l’empire des Habsbourg, un fait d’une importance capitale. À Vienne on attribue ce résultat à la propagande nationale serbe et l’on cherche à l’enrayer par des moyens tels que le fameux procès d’Agram. Que ne s’en prend-on plutôt aux détestables procédés de gouvernement que les Hongrois emploient vis-à-vis des Croates ! Ils suppriment pour eux toute garantie constitutionnelle et organisent un système d’oppression qui rappelle l’ancien gouvernement autrichien en Lombardie. La Croatie qui, avec Jellachich, a beaucoup contribué, en 1848, à sauver la dynastie et l’Empire, a été abandonnée par Vienne aux vengeances de Budapest. Elle est restée, malgré tant de sujets de mécontentement, profondément loyaliste. Il y a cependant, pour elle, entre hier et aujourd’hui, une différence profonde ; un fait nouveau s’est produit : les victoires des Slaves du Sud et la constitution de l’entente balkanique. Désormais les Croates, qui n’apercevaient d’avenir possible que dans l’union avec l’Autriche-Hongrie, commencent à discerner une autre solution dans l’union de tous les Slaves du Sud en une grande confédération ou en un grand État serbo-croate. Les Slaves de la péninsule balkanique sont à peine 15 millions, ceux d’Autriche-Hongrie sont 23 millions dont 7 millions pour les Slaves du Sud. Forts de leur nombre et de leur conscience nationale retrouvée, les Slaves du Sud ont aujourd’hui le sentiment qu’ils seront bientôt maîtres de leurs destinées. S’ils restent dans l’Empire, ils sont en mesure d’y obtenir des conditions politiques