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sur les Serbes de Bosnie qui ont fait aux Autrichiens, en 1878, une guerre de guérillas dont ils n’ont pas perdu le souvenir ?

Le parti militaire autrichien commet une lourde erreur de calcul, croyons-nous, quand il pense qu’une guerre résoudrait toutes les difficultés qui assaillent l’Empire ; au contraire, elle les aggraverait. Les périls qui menacent l’Autriche sont moins urgens qu’on ne le croit parfois, mais, en tout cas, rien ne peut les faire disparaître. Une guerre victorieuse ne ferait pas qu’il n’y ait, dans l’Empire, vingt-trois millions de Slaves, qui s’enorgueillissent des succès des autres Slaves ou s’émeuvent de leurs infortunes, et qu’il serait dangereux de pousser à bout. Les journaux du parti militaire parlent de l’insolence des Serbes, et de la nécessité de les amener à une soumission (unterwerfung) ; mais on est parfois tenté de se demander si ce n’est pas le fait seul de leur existence et de leurs progrès que l’on est, dans certains cercles viennois, tenté de regarder comme une insolence. Si le royaume serbe était, comme le rêve le parti militaire, contraint d’accepter une suzeraineté autrichienne, il subsisterait toujours, pour l’Empire, une question serbe ; au lieu d’être extérieure, elle serait intérieure, et elle n’en serait peut-être que plus aiguë et plus dangereuse ; on n’écrase pas les peuples dans le sang, on n’étouffe point par la force la clameur des revendications nationales.

Il ne faut pas exagérer, pour l’Autriche-Hongrie, le péril de dissolution. C’est ainsi qu’on a vu, en ces derniers temps, à Prague, une manifestation significative d’Allemands et de Tchèques mêlés, autour de la statue de Radetzki, le vainqueur de l’Italie. Les Tchèques savent que, même s’ils ne sont pas satisfaits de la place qui leur est faite dans l’édifice impérial, leur avantage est cependant de le maintenir. Presque tous les peuples qui vivent sur le territoire de la monarchie dualiste souhaitent d’en modifier le statut, non pas d’en ruiner les fondemens. En cas de guerre, même contre la Serbie ou la Russie, il y aurait sans doute des incidens, des défections individuelles ou des rébellions de petites unités ; mais l’armée, dans son ensemble, est loyaliste ; elle ne connaît pas le patriotisme tel qu’il existe chez les peuples unifiés ; elle a un patriotisme d’État, non une foi nationale ; il repose sur le serment au souverain, non sur l’amour spontané et libre d’une commune patrie ; mais