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déclarait Bismarck, si, par orgueil purement national, je refusais l’aide d’un puissant et loyal seigneur comme le Pape. » Puis le chancelier réfutait les épouvantes de Gneist : avant 1871, l’Église romaine avait eu plus de droits, en Prusse, que ceux qu’elle allait recouvrer ; et cependant, en ce temps-là, le protestantisme n’était pas gêné, et l’État, prospère, achevait l’unité allemande. D’ailleurs, de quoi s’inquiétait le protestantisme ? « Tant que le Roi est chef de l’Église évangélique, affirmait Bismarck, il ne peut être question de parité réelle entre les deux Églises : le protestantisme n’a rien à craindre. » Bismarck posait la question de confiance : son honneur politique était engagé ; si l’on repoussait le projet, il s’en irait. Car de graves épreuves pouvaient venir pour la Prusse ; il fallait qu’elle fût débarrassée de toutes querelles intérieures. « Vous êtes inconséquent, lui signifia Virchow, votre Culturkampf, ce fut une tapisserie de Pénélope ; » et Virchow rappela le langage qu’autrefois Bismarck tenait contre l’Église. « Mes invectives d’autrefois, riposta Bismarck, elles gardent aussi peu de valeur que les boulets de canon qui dans une guerre furent échangés. » Derechef, en deux mots, il résuma sa politique dans le Culturkampf : comme il avait jadis évacué la Champagne et la Bourgogne, il voulait, pour l’intérêt de la paix, évacuer une partie du territoire occupé par les lois de Mai, et de tout temps il avait projeté cette évacuation ; quant à ces lois, il les avait faites parce qu’en 1873 la Curie aidait le Centre, et qu’il fallait alors défendre l’unité.

« C’est quelque chose d’unique dans l’histoire parlementaire, commentait le publiciste catholique Jœrg ; c’est quelque chose qui restera unique. On ne conçoit pas un autre ministre responsable qui n’eût pas laissé à son successeur le soin de soutenir une telle évolution. Bismarck seul pouvait oser cela. »

La Chambre, maîtrisée, jugea superflu de renvoyer le projet à une commission : au soir du 27 avril, par 243 voix contre 100, le projet fut voté. Un certain nombre de « conservateurs libres » et même de conservateurs, redoutant pour le protestantisme le prochain retour des congrégations, s’étaient abstenus. Le 29 avril, la signature royale sanctionna la loi. On entendit retentir, au fond de la Prusse orientale, une sorte de sanglot, par lequel un autre Bismarck, Busso de Bismarck, député de Flatow, s’excusait et s’alarmait, devant ses électeurs, d’avoir fait vers Rome un