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pour la Prusse, et qui sont d’autant plus respectés que ce casier fut plus chargé.

« On ne parle plus de ces choses-là : » c’est une élégante formule d’amnistie. Mais les coupables se refusent à en bénéficier : elles sont leur trophée, ces choses-là ; pourquoi s’en tairaient-ils ? Amnistie étrange, et vraiment unique, que les magistrats et les législateurs sont seuls à invoquer, et qu’ils invoquent en leur propre faveur, pour couvrir leurs lois d’autrefois, leurs arrêts d’autrefois, comme l’on couvre des délits. Dans les meetings catholiques, on parle encore de « ces choses-là. » Elles s’évoquent, comme des spectres, devant les masses attentives, elles servent à leur prouver la nécessité constante d’une forte discipline ; et c’est en leur disant : Souvenez-vous du Culturkampf, que le Centre, jusqu’ici, s’est toujours fait obéir.

Cette intégrité du Centre, cette puissance électorale que certains périls paraissent actuellement guetter, mais que rien encore n’a sérieusement compromise, attestent, depuis un quart de siècle, l’erreur politique où se fourvoya Bismarck. Ce fut par réaction contre le Culturkampf, ce fut en réponse au Culturkampf, que les catholiques de Prusse et d’Allemagne, de 1873 à 1887, sentirent, d’une façon de plus en plus impérieuse, la nécessité de se grouper, de s’ordonner, d’accepter correctement les instructions de Windthorst. Bismarck avait commencé le Culturkampf avec l’idée qu’il se débarrasserait ainsi du petit Guelfe ; et les mesures persécutrices auxquelles il glissa, tantôt de plein gré, tantôt à contre-cœur, eurent cet effet imprévu, de grossir la clientèle électorale sur laquelle le petit Guelfe régnait. Visant à supprimer le Centre, il ne réussit qu’à multiplier, pour cette fraction, les raisons d’exister, et qu’à les rendre toujours plus palpables, toujours plus décisives, pour les catholiques de l’Empire. Le résultat final de sa politique ecclésiastique fut ainsi l’inverse du but qu’il avait cherché, et l’ironique histoire dit qu’Otto de Bismarck fut souvent à bon escient, et quelquefois à son insu, un très grand bâtisseur ; et qu’après avoir, par deux guerres extérieures qui déchaînaient et couronnaient ses rêves, cimenté l’unité de l’Empire, il aboutit, sans le vouloir, par les maladresses et les cruautés d’une guerre intérieure, à cimenter, dans cet Empire, la cohésion du Centre allemand.


GEORGES GOYAU.