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L’optimisme et le pessimisme, poussés un peu loin, et jusqu’à leur affirmation dogmatique, ne sont pas des doctrines de chez nous. Un philosophe a écrit : « L’essence métaphysique et réelle de la vie est la douleur ; » ce philosophe, un Allemand. Un autre philosophe a écrit : « J’affirme que, présentement et à toute heure du jour et de la nuit, tous les hommes sont parfaitement heureux ; » ce philosophe, un Anglais. Nos écrivains évitent ces extrémités du déplaisir et du contentement ; ils ont le goût de la mesure. Leur ton n’est pas celui d’une allégresse véhémente, ni celui d’un éclatant désespoir. Ils sont clairvoyans et ne méconnaissent ni les défauts ni les qualités de l’univers : ils en regardent le mélange avec une patience ingénieuse.

Une littérature qui, à travers ses larmes, sourit, c’est la nôtre. Et M. Alfred Capus est, à notre époque, l’un des esprits les plus joliment français. Il ne se guindé pas ; il est naturel. Ses phrases suivent ses pensées docilement, les accompagnent. Ses pensées suivent la réalité, qu’il observe : il ne s’aventure pas loin d’elle ; et, s’il s’est un moment écarté, il revient à elle, comme à l’indispensable certitude. Je ne crois pas que nous ayons aujourd’hui d’autres écrivains qui, dans la somme de leurs ouvrages, aient noté plus de vérité que lui.

Et il n’est pas un grand admirateur de ce qu’il a vu ici-bas ; il ne le méprise pas non plus. Entre le double excès du mépris et de l’admiration, il se tient à bonne distance ; il a choisi une règle de sagesse que résument deux mots : indulgence et plaisanterie. Mais une indulgence qui n’est pas du tout molle ; une plaisanterie toute pleine de signification.

Il me semble qu’on n’a pas toujours été bien finement juste pour ce badinage que M. Alfred Capus a porté à la perfection la plus délicieuse et, je le dirai, la plus émouvante. Nous avons tant d’orateurs !...

Peut-être une impétueuse et imprudente jeunesse réclame-t-elle d’autres accens, plus hardis et même farouches. Veuille-t-elle, en tout cas, apprécier l’humeur moins exubérante de ses devanciers ! La génération française qui, au temps de la Guerre, entra dans l’adolescence inventa notre badinage ; et ce n’est pas tout ce qu’elle inventa, au profit d’un nouvel orgueil : c’est au moins l’une de ses plus singulières trouvailles. Cette génération française a été, pour ses débuts dans la vie, humiliée, déçue. On avait cru les armes françaises invincibles : et elle a dû céder à la force. Alors, elle fut prise d’une grande horreur de la force, qui lui était refusée. En attendant une revanche vraie, elle s’est hâtée d’acquérir une autre prééminence ; elle a tourné