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de cette paix, et les hautes montagnes lui semblaient « les murailles d’un cloître qui l’auraient séparée du reste du monde. » On s’est souvent étonné qu’elle ne trouvât pas quelque consolation dans la beauté de cette nature alpestre. On a écrit maintes fois que la nature n’existait pas pour elle. C’est trop dire. C’est ainsi que je trouve dans une de ses lettres à M. de Staël cette description de Chamonix :

Je viens de faire une partie de glaciers… Il n’y a rien de plus imposant au monde que la vallée de Chamonix. Cette immense mer de glace qui touche à la prairie la plus riante, ce soleil qui darde sur ces cristaux sans parvenir à les fondre, tous ces contrastes forment véritablement le plus imposant spectacle que la nature ait donné à l’homme. Il faudrait y passer un mois au lieu de deux jours, si l’on voulait tout voir comme savant, mais comme poète l’impression de l’imagination suffit.

Quelques années plus tard, écrivant à Reinhardt qui était ministre de France à Berne pour l’inviter de la part de M. Necker à venir passer quelques jours à Coppet, elle lui disait : « Nous causerons en face de notre beau lac. » Il n’est donc pas tout à fait exact d’affirmer qu’elle n’avait point d’yeux pour la nature. Quant au mot fameux qu’on lui a prêté et qu’elle n’a jamais peut-être prononcé, il s’explique de la façon la plus naturelle. L’ambassade de Suède, où s’étaient écoulées les belles années de sa jeunesse, était située rue du Bac. Lors donc qu’à un consolateur un peu lourd qui, lui montrant du balcon de Coppet le lac et les montagnes, s’étonnait qu’elle ne trouvât pas quelque plaisir à les contempler, elle aurait répondu avec vivacité : « J’aime mieux le ruisseau de la rue du Bac, » c’était une manière piquante de dire qu’elle aimait mieux son hôtel de Paris que son château de Coppet, et il est certain qu’elle était beaucoup plus faite pour la vie de salon que pour « la vie champêtre et paisible, » dont les circonstances l’avaient, ainsi qu’elle le disait elle-même, « affublée. »

Ce qui est vrai, c’est qu’avec sa nature perpétuellement vibrante, qui ressentait toute chose avec exagération, elle était plutôt portée, par un sentiment que quelques mélancoliques comprendront, à trouver dans la contemplation de la nature un redoublement de souffrance. Elle lui reprochait son impassibilité en présence de nos douleurs et se plaignait du contraste entre les agitations de l’homme et le calme des choses. C’est à cette époque de sa vie qu’elle composait en vers, à la manière du