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Je te remercie, mon cher ami, d’une conduite que je me plais à devoir à ton sentiment, mais que ta dignité et ton existence rendent également nécessaires. Quant à moi, j’aimerais mieux mourir que de reculer d’une ligne, mais je suis prête à venir à Paris si tout n’est pas rétracté… J’espère encore que ce billet sera inutile et que je t’embrasserai avec autant de reconnaissance que de tendresse.

L’ordre fut rétracté en effet, et Desportes s’efforça de persuader Mme de Staël qu’il y avait eu erreur de nom et que son inscription sur la fâcheuse liste avait été motivée par la présence à Genève d’une intrigante appelée Mme de Stales, à laquelle le prince de Monaco avait écrit une lettre, et qui était considérée comme une intermédiaire de la correspondance entre émigrés.

On était au printemps de 1796, Mme de Staël n’en demeura pas moins toute l’année à Coppet Elle continua, comme elle avait fait les années précédentes, de chercher dans le travail une occupation et une distraction. Déjà en 1791, elle avait écrit une tragédie. Le héros en était l’infortuné Montmorency, la victime de Richelieu, auquel elle trouvait, il serait assez difficile de dire pourquoi, une certaine ressemblance avec son père. C’était, elle-même en convenait, à M. Necker qu’elle pensait lorsqu’elle écrivait ces vers :

Dans les temps orageux qui, lassant les excès
Des partis opposés déteste les forfaits,
D’aucune passion ne secondant la rage,
Se perd dans les efforts de ce double courage…

Dans cette tragédie, elle peignait la fidélité et le courage de l’épouse de Montmorency. Dans une tragédie précédente, Jane Grey, imprimée à un petit nombre d’exemplaires et réunie depuis à la collection de ses œuvres, elle avait célébré également l’amour de Jane Grey pour son époux, Dudley. « J’ai assez chanté l’amour conjugal, écrivait-elle plaisamment à son mari. J’en suis l’Homère, mais ne va pas croire que je ne peins ce sentiment que par l’imagination. » Je crois néanmoins rendre service à sa mémoire en laissant ce poème conjugal dormir dans les archives de Coppet où l’on aurait pu laisser aussi dormir Jane Grey. Les années suivantes lui furent trop douloureuses pour qu’elle continuât ses essais en ce genre. « Je voudrais, observait-elle avec raison, commencer une tragédie, mais je suis trop triste pour cela. C’est singulier à dire, mais, pour peindre la