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y parvenir, il faut voir comme nos voisins s’y gouvernent, faire de grandes Compagnies et, pour ce que chaque petit marchand trafique à part, en de petits vaisseaux et assez mal équipés, ils sont la proie des corsaires... parce qu’ils ne sont pas assez forts pour poursuivre leur justice jusqu’au bout[1]. »

Mais il y a quelque chose de plus éloquent que les paroles, ce sont les actes. Si l’on pénétrait au fond de la politique du grand ministre, on verrait que la préoccupation de la mer l’a toujours dirigée, notamment dans ses rapports avec la Hollande, avec l’Angleterre. Les archives sont pleines, à ce sujet, de révélations qui ont, jusqu’ici, échappé à l’histoire. Jamais, même au fort des crises continentales, il ne perdit de vue la conception dominante de son esprit : une France grande par la mer et plus grande au delà des mers.

Cette conception était d’autant plus remarquable que, comprise seulement par quelques esprits vigoureux, elle se heurtait, comme elle se heurtera toujours, en France, au parti sans nombre des timorés et des routiniers. Avant Richelieu, Sully, influencé sans doute par les subsides de Hollande et par le prestige de l’Angleterre, combattait énergiquement tout projet d’établissement lointain : « Quant à la navigation du sieur de Monts pour aller faire des peuplades en Canada, du tout contraire est nostre advis, d’autant que l’on ne tire jamais de grandes richesses des lieux situés au-dessous de 40 degrés[2]. » En 1629, quand les Anglais s’emparèrent de Québec pour la première fois, il y avait, dans le Conseil du Roi, des gens qui étaient d’avis « qu’on avait perdu peu de chose en perdant ce rocher. » C’est, en somme, la première version des « arpens de neige. »

On voit quelle claire vision des choses, quelle énergie persévérante il fallut à Richelieu pour avoir su remonter le courant, pour être resté, malgré tout, un « colonial » et pour avoir mérité ce juste éloge de l’histoire : « Madagascar, le Sénégal, la Guyane, les Antilles, l’Acadie et le Canada, tel était, en définitive, l’Empire colonial dont nous étions redevables à Richelieu... Il avait trouvé au Canada deux douzaines de colons, misérables épaves de nos multiples essais de colonisation : il en laissait

  1. Mémoires de Richelieu. Éd. Michaud et Poujoulat, t. 1, p. 438.
  2. Il faudrait lire « au-dessus. » Mais il est possible que Sully fût assez mal renseigné sur la position du Canada et qu’il crût toutes les colonies françaises plus ou moins tropicales ou équatoriales. — V. Garneau, App., p. 27.