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limité sans doute, mais certain pour apprécier la Beauté ; et nous pourrons en déduire par le raisonnement des règles précises qui s’imposeront également à l’artiste qui crée et au public qui le juge.

Mais ici Cavalcanti interrompit et avec une véhémence qui ne lui était pas habituelle.

— Voulez-vous donc rendre la vie aux genres littéraires, aux écoles artistiques, à ces formulaires conventionnels des arts que nos pères ont détruits après en avoir subi le despotisme ?

— Et pourquoi pas ? demanda Rosetti en souriant.

— Pourquoi pas ? répondit Cavalcanti. Parce que la Beauté est une chose infinie qui a une infinité de formes et d’expressions, des règles et des lois innombrables, vagues, mystérieuses, que l’on ne peut ni formuler ni enseigner ni codifier. Ou elles se sentent, ou elles n’existent pas. Cette limitation que vous souhaitez, et les principes qui en naissent, et les préceptes qui peuvent se déduire de ces principes, tout cela est tout à fait arbitraire.

— Naturellement, répliqua Rosetti. Tout art est tenu de développer avec une logique rigoureuse les principes d’où il part ; mais ces principes ne sont pas et ne peuvent jamais être nécessaires. Sans quoi, comment expliquerait-on que toutes les écoles artistiques et tous les genres littéraires fleurissent quelque temps, puis qu’ils meurent tous, tôt ou tard ? Si une école ou si un genre était fondé sur des principes vraiment nécessaires, cette école ou ce genre serait impérissable, éternel.

— Mais, insista Cavalcanti, si le choix est arbitraire, pour- quoi serions-nous tenus de choisir ? Pourquoi serions-nous tenus d’affirmer qu’il n’existe qu’une forme de la beauté, alors qu’il y en a d’innombrables ? Pourquoi prétendrions-nous formuler des règles et des lois, là où doit régner l’inspiration libre ? Par sa nature même, toute règle d’art est conventionnelle...

— Cela va de soi, répéta Rosetti.

— Vous dites : « Cela va de soi ? » protesta Cavalcanti. Mais quoi ? Le conventionnel n’est-il pas la négation de la beauté ? Le beau, c’est la vérité, c’est la sincérité, c’est la vie même !... Voici qu’enfin je comprends ! L’intérêt est ce qui pousse une école, une époque, un peuple, — bref, la « volonté grande, » comme vous dites, — à isoler tel principe de beauté parmi tous ceux qui s’offrent, c’est-à-dire à proclamer que ce principe est le