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en qualité ; et ainsi, peu à peu, d’un poète à l’autre, se forma le « genre, » la « manière, » puis une école ou une corporation de poètes qui en conservèrent et en transmirent les règles, les types et jusqu’à la langue conventionnelle. Je vous répète que je ne m’y entends guère : mais il me semble que Bréal a raison quand il dit que le prétendu dialecte homérique n’a jamais été parlé ; c’est une langue conventionnelle, littéraire, peut-être en partie archaïque comme celle des trouvères, fabriquée tout exprès par les poètes pour faire parler dignement les dieux et les héros. Voilà comment le « genre s’est formé ; » et, à un certain moment, un acte de la « volonté grande » qui avait pris corps dans une école l’imposa à tout le monde, au public et aux poètes, comme un parfait modèle de beauté. Tant qu’enfin, de poète en poète, un beau jour, l’homme de génie apparut ; et il s’appela justement, — qui le croirait ? — Homère ; et, chose plus singulière encore, presque inouïe, il naquit, vécut et mourut, après avoir, comme tous les autres auteurs, écrit ses ouvrages avec une plume et de l’encre, sur du papier, en commençant par le premier vers et en mettant un point à la fin du dernier vers, mais en infusant à ce genre conventionnel une vie prodigieuse. Car, le conventionnel n’est pas nécessairement faux, vide et mort, comme beaucoup de gens le pensent de nos jours et comme vous le disiez tout à l’heure, Cavalcanti. Non : il limite, il n’étouffe pas ; et, par conséquent, il peut enfermer beaucoup de vérité et beaucoup de vie. En voulez-vous un exemple plus clair ? Vous, avocat, l’autre soir, à propos de la sculpture grecque, vous avez « retourné » le jugement qui a cours en disant que c’était un art sensuel. Moi, je dirais que cet art n’est ni idéal ni sensuel : il est conventionnel. Les formes de la beauté corporelle étant innombrables, les Grecs ont choisi un certain nombre d’entre elles pour représenter les Dieux de l’Olympe et les autres personnages de la mythologie ; ils se sont donc limités, en choisissant toutefois parmi les formes vivantes ; et cela est si vrai que, aujourd’hui encore, il est facile de retrouver dans la rue les modèles vivans sur lesquels ont été imaginés les types de Vénus, de Junon, d’Apollon, etc. Ne nous arrive-il pas souvent d’admirer les formes junoniques d’une femme ou le type apollinien d’un homme ? Un acte de la « volonté grande » imposa ensuite aux Grecs de sculpter et de resculpter toujours ces mêmes types,