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Mais le logique n’est pas tout entier de l’historique, et de ce que les catégories de la pensée sont riches en élémens sociaux et même religieux, il ne croit pas qu’elles soient uniquement sociales. Elles naissent au contraire de la nature de l’esprit et de ses rapports constans avec les phénomènes de la nature, et c’est du fond de la conscience que surgissent les représentations destinées à devenir ensuite sociales, c’est-à-dire à s’amplifier par la répétition en autrui, par la sympathie à la fois sensitive et intellectuelle.

Si par « morale scientifique » Fouillée n’entend pas la morale descriptive, l’histoire des notions morales, s’il pense avec raison que cette morale-là n’oblige pas et qu’elle n’est même pas persuasive, comment définit-il le terme ? On hésite. Par morale scientifique, on désigne généralement une morale dérivée par voie de raisonnement d’une science positive, et c’est généralement à la biologie que l’on pense. Pendant le XIXe siècle, la science étant devenue un dogme, on a cherché à en faire sortir la morale, la sociologie et la politique. Berthelot aimait à parler des sociétés futures jet sa grande autorité de savant respecté n’a pas peu contribué à faire rêver la démocratie sur une philosophie purement tirée des sciences. Plus récemment ceux qui ont eu des projets analogues se sont aperçus que la morale généralement imaginée comme étant scientifique n’était qu’un mot, et qu’elle avait une allure toute religieuse, l’objet de la religion ayant seul changé. Il suffit de lire les ouvrages pleins de franchise d’un matérialiste comme M. Le Dantec, l’Égoïsme seule base de la Société, ou la Science de la Vie, pour voir à quelles conclusions aboutissent les biologistes, quand ils sont bien décidés à ne pas faire les métaphysiciens malgré eux. De l’idéalisme de Fouillée, les morales scientifiques ne gardent rien.

La conception de Fouillée est sur ce sujet bien particulière, et, quand il dit que la morale est une science, il parle dans un sens qui lui est tout personnel. Sa pensée véritable parait être que la morale des idées-forces est scientifique, parce qu’elle repose sur des définitions, des déductions et des lois : elle a pour objet de chercher ce qui est le meilleur possible, c’est-à-dire ce qui est en harmonie avec les lois du réel, et ce qui répond le mieux aux lois du bonheur humain. Or, ce possible, ce désirable, c’est la science qui l’établit. « L’idéal, dit-il, n’est qu’un désirable possible. » Le bien définir, c’est déjà le créer,