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immobilise la principale armée turque, la seule qui survive à l’effondrement général. Au sujet d’Andrinople, le gouvernement turc a proposé une transaction que les Bulgares ont jugée inacceptable. La ville serait coupée en deux : une rive de la Maritza serait cédée aux alliés, l’autre resterait à la Turquie. Cette solution n’en est pas une ; elle présenterait, dans la pratique, des difficultés inextricables et sans cesse renaissantes ; nous ne sommes pas surpris qu’elle ait été repoussée. Mais les Turcs ont un argument qui est très fort, au moins en logique. — Eh quoi ! disent-ils aux alliés, non contens de conserver tout le territoire que vous avez conquis, et même davantage, vous prétendez que nous vous cédions une ville qui continue de résister et dont l’héroïsme sauve l’honneur de nos armes ! N’est-ce pas abusif ? N’est-ce pas excessif ? — À cela les Bulgares n’avaient qu’une réponse à faire, et c’est bien celle qu’ils font : — Vous arguez, disent-ils aux Turcs, de ce que nous n’avons pas pris Andrinople : eh bien ! nous allons la prendre. — Les choses en sont là. Il est clair que, lorsque les Bulgares seront maîtres d’Andrinople, sans que les Turcs aient la moindre chance ni la moindre espérance de la reconquérir jamais, la situation sera changée.

Une pluie de fer et de feu tombe donc sur la ville. Si c’est pour préparer un assaut, il n’y a qu’à attendre le résultat ; mais si le but des Bulgares est d’amener la capitulation en profitant de ce qu’on a appelé, dans une autre circonstance, le moment psychologique, leurs espérances pourraient bien ne pas se réaliser aussi vite qu’ils l’espèrent. Le défenseur d’Andrinople, Chukri pacha, a une âme de soldat : il résistera aussi longtemps qu’il aura des vivres et des munitions et on commence à ne plus savoir combien il lui en reste. La défense d’Andrinople a dépassé en durée toutes les prévisions qu’on avait faites : aussi n’ose-t-on plus en faire. Nous avons entendu dire, non pas une fois, mais dix fois et même davantage, qu’il n’y avait plus que pour huit jours de vivres dans la ville et que, par conséquent, la résistance ne pouvait pas dépasser ce terme. Huit jours s’écoulaient, puis huit jours encore et ainsi de suite ; les prophéties continuaient, mais larésistance également. Aujourd’hui, on ne sait plus ce qu’il faut croire. Il est évident qu’Andrinople avait beaucoup plus de vivres et de munitions qu’il n’en fallait pour sa défense normale ; on en avait accumulé dans ses magasins de quoi pourvoir au ravitaillement de toute une armée à laquelle la place devait sans doute servir de point d’appui. Le jour viendra où Andrinople succombera, car tout a une fin ; mais il est impossible de dire si ce jour est très prochain ou s’il est