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été pensée pendant quelque temps par le genre humain et qui a été féconde, était provisoirement et partiellement vraie ; voilà pourquoi nous pouvons affirmer que, si les idées dont nous nous servons peuvent en effet nous rendre service, c’est qu’elles sont vraies au moins partiellement, par le côté ou elles nous sont utiles et commodes, et non pas qu’elles sont vraies parce qu’elles nous servent. La géométrie d’Euclide sert à mesurer la terre et à construire des machines parce qu’elle est vraie ; et elle est vraie quoiqu’elle ne puisse pas démontrer les axiomes d’où elle part ; et elles ne peut pas les démontrer, ces axiomes, parce que la géométrie elle-même, si elle veut mesurer la terre, doit, à un certain moment, cesser de douter, de fouiller, de chercher, de demander « pourquoi ? » Je sais bien : sur ce point aussi on peut, si l’on veut, subtiliser, douter, enquêter, scruter, embrouiller les choses indéfiniment, et il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui s’y amusent. La gnoséologie est à la mode ! Quant à moi, je ne m’y entends guère ; mais, en raisonnant avec mon gros bon sens, je dis : si nous admettons que la vérité est un sentiment, — un sentiment dont le rôle est de nous mettre peu à peu en contact avec la réalité au milieu de laquelle nous vivons, à chacun des points que notre esprit vient à toucher, — et si, grâce à cette supposition qui ne me semble point déraisonnable, nous imposons une limite à notre doute, j’estime qu’il nous est possible de nous placer nous-même dans l’univers à un endroit assez sûr et assez commode pour promener modestement nos regards autour de nous, sans présumer tant de notre raison que nous nous croyions capables aussi de la nier et de l’anéantir.

Il se tut. Je voulus essayer encore une objection.

— Soit, dis-je. Mais alors comment pourrait-on dire du système de Ptolémée qu’il est partiellement vrai ? Je comprendrais qu’on dit cela du système de Copernic ; mais de celui de Ptolémée, non. Ce dernier système est entièrement faux.

— Oui, si tu le compares au système de Copernic ; mais non, si tu le compares aux mythes cosmiques de l’ancien polythéisme dont il a pris la place, par exemple au mythe d’Atlas qui porte le monde sur ses épaules. Comparé à ce mythe, le système de Ptolémée contenait une vérité partielle, à savoir que cette grande nuit toute flamboyante d’astres, dont les profondeurs s’offrent en ce moment à nos yeux, est un système où des corps