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[1], » — c’est lui qui souligne, — qu’il y a en lui ? Et, tiraillé entre diverses tendances, incapable de se fixer dans une ferme doctrine, inquiet d’ailleurs, souffrant de son inconsistance, et n’ayant du dilettantisme que l’apparence, se laissera-t-il aller au gré de l’heure, et se condamnera-t-il à refléter, au risque de paraître ne pas maîtriser son œuvre et sa pensée, les divers remous d’opinion et de sentiment qui agitent les âmes d’aujourd’hui ? On sait que c’est ce dernier parti qui l’a emporté ; et si l’unité intérieure, l’originalité peut-être de son œuvre y ont un peu perdu, elle n’est pas sans y avoir gagné en valeur représentative.

Sous quelles influences, extérieures ou intimes, cette évolution, ou plutôt cet arrêt ou ce refus d’évolution s’est-il accompli ? C’est ce qu’il est difficile de conjecturer, et de dire avec précision. Peu importe d’ailleurs. En matière morale, les influences les plus incontestées ne jouent pas le rôle décisif que nous leur attribuons parfois. Nous ne les subirions pas, si nous n’étions pas préparés d’avance à les subir ; elles n’agiraient pas sur nous, si elles ne répondaient pas à un vœu secret, à une disposition latente de notre nature ; elles peuvent nous révéler à nous-mêmes, elles révèlent aux autres tout un côté de notre être encore inaperçu ; elles donnent à certaines de nos énergies obscures l’occasion et les moyens de se déployer, elles ne les créent pas de toutes pièces. Il y avait chez Rod, en dehors de toute influence acceptée, ou subie, une certaine incertitude native de pensée, — de volonté peut-être, — qui perce dès ses premiers livres, et qui n’a guère fait que s’accentuer dans la suite. Il n’était pas l’homme des partis pris tranchés, des décisions irrévocables, des paris définitifs. La nature même de son intelligence répugnait aux affirmations trop nettes, et, si je puis dire, aux conceptions unilatérales. Il y a, ce semble, trois types différens d’esprits. Les uns, les dogmatiques, — Bossuet par exemple, — ont embrassé de bonne heure un système, une doctrine ; ils s’y tiennent ; et toute leur vie se passe à en préciser les principes, à en développer les conséquences ; quand ils n’ignorent pas les doctrines contraires, ils les dédaignent, ou du moins ne se laissent pas entamer par elles. A l’opposé de ce groupe, il y a les esprits, — dont Renan est la réussite supérieure, — que

  1. « Le tenace Individualisme qu’il y a en moi est toujours prêt à reprendre ses droits. » (Le Sens de la vie, p. 216).