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Il y a une semaine de la Passion pendant laquelle il subit, comme un halluciné, mais dans la réalité concrète, le détail du supplice divin. Son orgueil le substitue au divin supplicié ; son obsession lui présente, ainsi qu’à tant d’hérétiques dans les annales des hardiesses de l’esprit, le parallélisme de son aventure et de l’autre. Sa souffrance lui déroule un nouvel évangile ; et il a conscience de vivre, tout pantelant, les symboles de la suprême révélation.

Il est dehors, à tous les vents. On l’a chassé de son petit monastère. Il en est sorti dans une charrette que traînait un âne ; et il regardait l’âne, il regardait aussi les gens qui, pour activer la bête, avaient aux mains des rameaux. Il est dehors ; une bonne femme vient au-devant de lui, comme cette femme qui s’approcha du Sauveur afin de lui essuyer le visage. Et il entre dans la maison de son exil, de sa défaite, justement à l’heure où Notre-Seigneur expira, un tel jour.

Drames terribles de lame, qui arrive par les chemins de la piété au scandale du sacrilège ! Et Lèopold Baillard mourra dans le giron de l’Église, ayant reconnu sa folie.

Léopold Baillard a entendu, sur la colline de Sion, le dialogue de la Chapelle et de la Prairie : le souffle qui tournoie entre Sion et Vaudémont jette à la Chapelle les rumeurs de la Prairie et à la Prairie le message de la Chapelle. « Je suis, dit la Prairie, l’esprit de la terre et des ancêtres les plus lointains, la liberté, l’inspiration. » La Chapelle répond : « Je suis la règle, l’autorité, le lien ; je suis un corps de pensées fixes et la cité ordonnée des âmes. » La Prairie : « J’agiterai ton âme... » Et la Chapelle : « Visiteurs de la Prairie, apportez-moi vos rêves pour que je les épure, vos élans pour que je les oriente... Viens à moi si tu veux trouver la pierre de solidité, la dalle où asseoir tes jours et inscrire ton épitaphe. »

Le livre s’achève sur cette allégorie de la Prairie et de la Chapelle. Et traduisons cette allégorie : c’est le dialogue, ou le conflit, des spontanéités et de la discipline.

Ce grand beau livre, La colline inspirée, nous l’avons premièrement examiné du dehors ; et puis nous avons tâché d’y entrer peu à peu : maintenant, ne sommes-nous point à son cœur même, à la pensée qui, de là, se distribue dans tous les épisodes ?

Spontanéités et discipline : il s’agit de l’individualisme et de ses formes. Et ce n’est pas seulement La colline inspirée que voici dédiée à ce problème : c’est toute l’œuvre de cet écrivain, depuis son premier volume et constamment. D’abord, avec le jeune entrain de qui goûte le récent plaisir de la vie, il écartait les barbares et organisait, pour le