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l’évêque châtie Léopold Baillard, nous plaignons ce dur traitement, — ce traitement qu’il fallait qui fût appliqué à ce fol « pour protéger un plus vaste ensemble. » Et, ensuite, quand Léopold Baillard est excommunié, avec ses dangereuses rêveries,— « ô sagesse de l’Église, qui rejette les Léopold et veut les écraser ! »

Ainsi, l’auteur de La colline inspirée n’hésite pas. La discipline est, dans cet ouvrage, plus impérieuse et rude que jamais.

On l’a remarqué sans doute, c’est la prairie, maîtresse d’erreur, qui disait : « Je suis l’esprit de la terre et des ancêtres les plus lointains... » Ainsi, le conseil des morts serait-il périlleux ?

Mais la chapelle répond : « Je suis la pierre qui dure, l’expérience des siècles, le dépôt du trésor de ta race. Maison de ton enfance et de tes parens, je suis conforme à tes tendances profondes, à celles-là mêmes que tu ignores et c’est ici que tu trouveras, pour chacune des circonstances de ta vie, le verbe mystérieux, élaboré pour toi quand tu n’étais pas. »

Donc, la philosophie des morts subsiste ; et l’auteur de La colline inspirée n’en relâche rien. Mais, toutes deux, la prairie et la chapelle se réclament des morts. « Les ancêtres les plus lointains, » dit la prairie. Trop lointains ! répliquerait la chapelle.

Les morts, qui marquaient nos limites, nous ont bientôt montré le chemin de notre libération. Mais, de morts en morts, suivant leurs invites, n’irions-nous pas trop loin trop librement ? La chapelle interrompt et coupe la file des morts et la fait partir seulement du point où s’est imposée la certitude : point dogmatique. Aussi disais-je que se resserre la discipline.

A qui obéir ? A la prairie ? « Qu’est-ce qu’un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle ? » A la chapelle ? « Qu’est-ce qu’un ordre qu’aucun enthousiasme ne Adent plus animer ? » Mais : « L’Église est née de la prairie et s’en nourrit perpétuellement, pour nous en sauver. »

C’est la conclusion du livre ; et c’est, aujourd’hui, la conclusion d’une œuvre qui emplit de son incessante recherche vingt volumes et qui n’a pas fini de célébrer ses trouvailles. Beau spectacle, et poignant : une philosophie qui s’est, pour ainsi dire, vécue au long d’une existence passionnément active et pensive ! J’ai pitié d’une thèse immobile et qui bavarde.


ANDRE BEAUNIER.