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valeur marchande des cendres salpêtrées, et d’où sortent ses mémoires sur les sels. De nos jours, c’est tout de même, et nous allons voir que le mouvement chimique est gouverné par des préoccupations pratiques, et qu’on y utilise sur une vaste échelle une foule de phénomènes dont l’explication n’est même pas entrevue, comme cette étrange catalyse dont nous parlerons dans un instant.

« Si l’arbre de la science s’élève à des hauteurs inconnues dans le domaine de la pure spéculation, il eut toujours et il continue d’avoir ses racines dans le terrain concret des nécessités humaines. » Il n’est, comme on va voir, rien à quoi cette pensée d’Ostwald s’applique avec autant de force qu’à la chimie.

Si d’ailleurs les prédécesseurs de Lavoisier n’arrivèrent pas à faire de la chimie une science réellement utile, c’est qu’ils s’embarrassaient de spéculations théoriques et d’à priorisme. La gloire du grand martyr de la Terreur fut de voir le premier qu’en ce domaine, les faits priment les systèmes, et qu’il ne convient point de repousser ceux-là quand ils ne cadrent pas avec nos préjugés.

Étrange destinée de la science ! Celle-ci n’existe que lorsqu’elle groupe, ordonne et explique les faits par un corps de doctrine, car, comme l’a dit Henri Poincaré, « une collection de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison ; » et pourtant, par une sorte de contradiction, dès que la doctrine est devenue trop forte et veut tyranniser les faits, elle tue la science. Pour que celle-ci puisse vivre et s’épanouir, il faut que la théorie soit la serve toujours obéissante du fait. C’est une de ces vérités qu’il est bon de redire, dans ce temps où l’on veut remplacer le dogmatisme religieux par d’autres qui seraient beaucoup moins logiques ; la chimie nous oblige fort à propos à nous en souvenir.


Le premier objet de la chimie est de réduire toutes les matières sensibles à un petit nombre d’autres substances élémentaires, indécomposables elles-mêmes, nettement caractérisées, et d’où découlent toutes les autres. Le second est précisément de construire par synthèse et artificiellement les corps complexes que nous offre la nature. Le troisième est de construire des substances nouvelles et qui ne sont pas naturellement réalisées. Qu’on me pardonne cette classification, peut-être un peu arbitraire, de la chimie ; elle aura du moins l’avantage de nous fournir un triple fil conducteur, assez commode dans cet exposé.