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cette puérile illusion. Nous devons tout faire pour empêcher la guerre, mais nous devons toujours y être prêts parce qu’elle est toujours possible. M. le Président de la République l’a rappelé dans son message : ce ne sera pas sa faute si les Chambres et le pays n’entendent pas l’avertissement. Quant au gouvernement, son devoir est clair. Nous n’avons atténué ni les difficultés de sa tâche ni la force des résistances qu’il y rencontrera : mais à cette force il en a une autre à opposer, celle que lui donnent les circonstances présentes. Les formidables armemens de l’Allemagne sont pour lui un argument très fort. Il y a là un fait contre lequel nous ne pouvons rien, sinon prendre nos dispositions en conséquence. Le ferons-nous ? Cela dépendra de l’énergie que le gouvernement mettra à le demander, à l’imposer. Nous n’invoquerons pas ici l’opinion du pays, puisqu’on l’a trompée et qu’elle est toute à refaire, mais l’opinion réfléchie de la partie du public la plus éclairée et la plus compétente qui soutient le gouvernement, l’encourage et le pousse. Elle attend de lui, non pas des demi-mesures et des tâtonnemens, mais des projets décidés et décisifs, une attitude ferme, des résolutions rapides. En toutes choses il y a l’occasion, qui est aussi une force. Si on la laisse passer, on risque de ne plus la retrouver.

Dans un autre ordre d’idées, qui se rattache pourtant à celui dont nous venons de parler, le gouvernement a montré qu’il se préoccupait d’affermir notre situation au dehors en donnant une vie plus active à notre alliance avec la Russie : il a nommé M. Delcassé ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Nous avions là un ambassadeur du plus haut mérite, d’une compétence affermie par une longue expérience et d’un jugement très sûr : malheureusement, la santé de M. Georges Louis ne lui permet plus de continuer la mission que le gouvernement lui avait confiée ; il a donc fallu pourvoir à son remplacement-Le choix auquel on s’est arrêté est significatif. Ministre des Affaires étrangères pendant plus de sept années consécutives, M. Delcassé a fait au quai d’Orsay beaucoup de choses dont quelques-unes ont été diversement jugées, mais qui toutes ont révélé chez lui une vive intelligence et un patriotisme ardent. Si nous laissons de côté son œuvre marocaine qui intéresse la France seule, pour considérer son œuvre internationale, cette dernière se caractérise par quelques faits principaux : M. Delcassé a pratiqué activement et fidèlement l’alliance russe ; il a été l’auteur de notre rapprochement avec l’Angleterre, autrement dit de l’entente cordiale ; enfin il a commencé et poussé déjà assez loin le rapprochement entre notre alliée et notre amie. Si la triple entente existe aujourd’hui