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d’individus que tu renverserais d’un coup d’aile, mais comme tu leur laisses voir que tu as deux pieds comme eux, ils te traitent de pair à pair dans l’ordre commun de la vie. Je suis persuadé que tu donnerais toute ta réputation ou au moins la moitié pour un salon bien entretenu et tu serais une folle.


1er avril.

Tu changes ma petite date ; elle est comme de raison la très obéissante servante des tiennes, car elle n’est pas réglée comme les tiennes par la nécessité. Pauvre Minette qui gouvernerais le monde et qu’une petite loi, toute de sa façon, subjugue ; si toutefois il y a, entre tes colonnes un petit passage ouvert au raisonnement, je dirai qu’en ayant devant soi un pays qu’on déteste, il faudrait au moins achever le semestre à Paris car c’est une mesure aussi fort spacieuse, du moins parmi nous gens de la terre et à part l’autorité de la lune et de ses différentes phases, car celle-là est d’un ordre supérieur.

Je voudrais que le dernier mois que tu destinerais à Paris tu essayasses, sous le prétexte d’un départ peu éloigné, d’une vie moins étendue, d’une vie où Paris et la société de quelques gens d’esprit pourraient te suffire. Je me souviens d’une définition du bonheur que répétait sans cesse le Premier Président d’Aligre, « une bonne santé, l’aisance de son état. » Il appliquait uniquement ce dernier mot à la fortune et je le trouverais d’un plus grand sens encore rapporté à la vie sociale. Il ne faut pas y prendre une étendue qui tienne dans l’inquiétude, mais tracer sa ligne au contraire de manière à n’avoir pas à songer sans cesse à la défendre. On s’étend ensuite selon les circonstances et tu peux faire tout cela sans rien perdre en bonne société : enfin je crois que pour ton bonheur, il y a quelque chose à changer à son système actuel.

Je te conseille sur la politique de t’en tenir à ce que tu sais très bien faire : l’éloge de ce qui est louable ; pense à beaucoup de choses.


Partie le 13 avril.

Je ne doutais pas que le danger de la descente aurait décidé l’Angleterre à la paix. Si cela n’est pas, comme quelqu’un l’assure, je me perds en admiration de l’habile négociation de Buonaparte ; faire céder aux Anglais tout ce qu’ils ont dans la Méditerranée et qu’ils ne reprendront jamais, le Cap de même, probablement la Martinique aussi, et les laisser tout ébahis d’avoir Trinquemale qu’avec leur puissance dans l’Inde ils étaient sûrs d’avoir quand ils voudraient ; ébahis de même de garder la Trinité isolée sur les côtes des (mot illisible) et qu’on leur reprendra un jour ou l’autre par quelque expédition secrète. Tout cela est bien extraordinaire, Buonaparte a trouvé dans Addington le second Mêlas. Enfin ces mêmes Anglais laisseront punir le Turc par Buonaparte s’il est vrai que les Autrichiens sont lâchés sur la Bosnie et la Valachie. Je crois l’Angleterre considérablement baissée. On dirait qu’ils bornent leur gloire à réussir dans un emprunt. L’opposition n’osera pas jouer ses grands jeux sur cette paix parce qu’elle est populaire.