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moyen d’engager la conversation. Mais ce fut elle qui prit la parole.

— J’ai trouvé, vous savez ? me dit-elle. Je suis une sotte, j’en conviens ; mais pas au point que l’on croit. J’ai creusé ma petite cervelle pendant deux jours. Il croyait que je le soupçonnais !

C’était ainsi qu’elle s’expliquait enfin bien des faits dont elle n’avait pas réussi tout d’abord à se rendre compte. Par exemple, son mari s’était mis dans une colère terrible, un certain jour où, comme elle avait vu dans une valise qu’il emportait en voyage une extraordinaire quantité de parfums, de brosses, de peignes et d’autres objets de toilette, elle lui avait demandé en riant s’il partait à la recherche d’aventures. Un autre jour où, par inadvertance, elle avait ouvert une lettre adressée à M. Feldmann, peu s’en était fallu qu’il ne la menaçât de divorcer, si le cas se reproduisait. Et quelles fureurs, une autre fais que, irritée par une petite querelle, elle lui avait dit qu’il était fait, non pour avoir femme et ménage, mais pour vivre avec une maîtresse qu’il changerait tous, les deux ans !

— Et penser, conclut-elle, que pas un instant je n’ai rien soupçonné ! Jamais ce malheureux ne m’a comprise. Lui, il se défie toujours ; moi, au contraire, j’ai toujours confiance. Les yeux fermés ! Je suis ainsi faite.

Je l’avais écoutée d’un air impassible, tout en la regardant comme quand on est en méfiance et qu’on se tient sur ses gardes. A la fin, me rappelant les confidences de l’amiral, je lui dis que sa supposition n’avait rien d’invraisemblable : après quoi, malicieusement, afin de la sonder :

— C’est sans doute pour cela, dis-je en la considérant fixement, qu’il ne voulait pas prendre le café avec vous, le matin...

Elle me regarda, surprise.

— Que voulez-vous dire ? A quoi faites-vous allusion ?

Je lui racontai alors ce que l’amiral m’avait rapporté. Mais, avant même d’être arrivé au milieu de mes explications, je compris l’imprudence de mes paroles.

— Mon Dieu, mon Dieu ! gémit-elle joignant les mains. Il était devenu fou à ce point !... C’est la comtesse qui lui a mis cette infamie-là dans la tête, j’en suis sûre ! Cette vieille scélérate !... Maintenant, je comprends tout !

Vexé de ma propre maladresse, je voulus détourner la conversation.