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et un bon nombre des autres régimens français, que marchaient péniblement les débris des contingens fournis naguère à Napoléon par ses alliés de gré ou de force, les princes allemands. Lorsque les témoins cités par M. Holzhausen traversaient un village, il y avait chance que déjà les troupes qui les précédaient eussent exploré, saccagé, brûlé toutes les maisons ; et pareillement il en allait dans les villes, où nos infortunés narrateurs allemands, quand enfin ils avaient réussi à y pénétrer, pouvaient être à peu près certains de trouver les magasins vides, comme aussi de devoir camper sur les places publiques. De telle sorte que, pour ne nous offrir que des faits d’une authenticité quasi « officielle, » le savant ouvrage de M. Holzhausen n’en renferme pas moins une série de tableaux égaux et parfois supérieurs en atrocité pathétique à tout ce qu’aurait pu inventer l’imagination du poète de l’Enfer. En vain, par exemple, Gourgaud et Marbot se sont-ils ingéniés à démentir l’assertion de Ségur touchant la réalité de scènes plus ou moins nombreuses de cannibalisme, aux dernières périodes de la retraite. Ainsi que l’observe justement M. Holzhausen, un officier d’état-major comme Gourgaud ne pouvait guère être aussi bien renseigné sur ce point qu’un modeste sergent Bourgogne, ni surtout que la demi-douzaine de sous-officiers ou de « traînards » allemands qui s’accordent pour nous attester qu’ils ont vu manger de la chair humaine, ou même qu’ils en ont mangé pour leur propre compte. Pareillement un officier bavarois, d’une loyauté incontestable, raconte que des soldats de son entourage « rôtissaient au feu des cœurs extraits de cadavres humains. » A quoi le lieutenant Furtenbach ajoute : « Que cela soit vrai, je puis le garantir, et je frémis encore d’effroi au souvenir de cet odieux spectacle ! »

Pour des motifs analogues, les membres allemands de la Grande Armée étaient plus exposés que leurs compagnons français à tomber entre les mains de l’ennemi. Un bon nombre des témoins mentionnés le plus souvent par M. Holzhausen dans les premiers chapitres de son livre ont ainsi fini par devenir prisonniers, — quelques-uns au moment où, déjà, ils s’apprêtaient à pénétrer en territoire allemand. Ceux-là ont eu à subir, tout au moins pendant le début de leur captivité, un sort en comparaison duquel toutes les angoisses de la retraite leur apparaissaient une partie de plaisir. Dépouillés de leurs vêtemens, nourris des rebuts que laissaient les chevaux des Cosaques, ils étaient traînés, sous une pluie de coups, vers de lointaines régions, les uns dans l’Oural, d’autres en Sibérie, — car il semble certain que l’énorme majorité des Russes craignaient un prochain retour de Napoléon.