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bénédictine, ou des volumes encore si compacts et beaucoup plus nombreux des éditions récentes. Derrière ce rempart d’imprimé, il est bien défendu contre les curiosités profanes. Il faut du courage, et de la persévérance, pour s’engager dans ce dédale de textes, tout hérissés de théologie, d’exégèse et de métaphysique. Mais, quand on a franchi le seuil de la farouche enceinte, quand on s’est accoutumé à l’ordonnance et à la figure de l’édifice, on ne tarde pas à se prendre d’une ardente sympathie, puis d’une admiration grandissante pour l’hôte qui l’habite. Le visage hiératique du vieil évêque s’anime, devient étrangement vivant, presque moderne d’expression. On découvre, sous les textes, une des existences les plus passionnantes, les plus mouvementées, les plus riches en enseignemens, que nous offre l’histoire. Ces enseignemens s’adressent à nous, répondent à nos préoccupations d’hier ou d’aujourd’hui. Cette existence, le siècle où elle s’est déroulée nous rappellent notre siècle et nous-mêmes. Le retour de circonstances semblables a amené des situations et des caractères semblables : c’est presque notre portrait. Nous sommes tout près de conclure qu’à l’heure présente, il n’est pas de sujet plus actuel que saint Augustin.

Il est au moins un des plus intéressans. Quoi de romanesque, en effet, comme cette existence errante de rhéteur et d’étudiant, que le jeune Augustin promena de Thagaste à Carthage, de Carthage à Milan et à Rome, et qui, commencée dans les plaisirs et le tumulte des grandes villes, s’acheva dans la pénitence, le silence et le recueillement d’un monastère ? Et d’autre part, quel drame plus haut en couleur et plus utile à méditer que cette agonie de l’Empire à laquelle Augustin assista et que, de tout cœur fidèle à Rome, il aurait voulu conjurer ? Quelle tragédie enfin plus émouvante et plus douloureuse que cette crise d’âme et de conscience qui déchira sa vie ? A l’envisager dans son ensemble, on peut dire que la vie d’Augustin ne fut qu’une lutte spirituelle, un combat d’âme. C’est le combat de tous les instans, l’incessante psychomachie,-que dramatisaient les poètes d’alors, et qui est l’histoire du Chrétien de tous les temps. L’enjeu du combat, c’est une âme. Le dénouement, c’est le triomphe final, la rédemption d’une âme.

Ce qui rend la vie d’Augustin si complète et si réellement exemplaire, c’est qu’il soutient le bon combat non seulement contre lui-même, mais contre tous les ennemis de l’Église et de