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d’une colonne brisée nous charme et nous exalte, blanc fantôme de beauté, qui surgit des ruines, parmi les masures modernes.

Thagaste avait des colonnes.


II. — LA FAMILLE D’UN SAINT

C’est dans cette petite ville amène, ombragée, et polie, dès longtemps, par les arts de Rome, que vivaient les parens d’Augustin.

Patritius, son père, nous présente un assez beau type d’Africain romanisé. Il appartenait à l’ordre des décurions, au « très splendide conseil municipal de Thagaste, » splendidissimus ordo Thagastensis, comme dit une inscription de Souk-Ahras. Ces épithètes emphatiques ont beau rentrer dans l’ordinaire phraséologie officielle, elles n’en reflètent pas moins le prestige, dont ces fonctions étaient revêtues. Patritius était, dans son municipe, une manière de personnage. Son fils nous avoue qu’il était pauvre, mais nous soupçonnons le saint évêque d’exagérer par humilité chrétienne. Il possédait certainement plus des vingt-cinq arpens de terre, sans lesquels on ne pouvait remplir la charge de curiale. Il avait des vignes, des vergers, dont Augustin se rappelait plus tard les fruits savoureux et abondans. Enfin, il entretenait un certain train de maison. Il est vrai qu’en Afrique la domesticité n’a jamais été un grand luxe. Cependant, les fils de Patritius avaient un pédagogue, un esclave commis spécialement à leur surveillance, comme les enfans de bonne famille.

On nous assure que le père d’Augustin, étant curiale, devait être ruiné. Les curiales, qui levaient l’impôt et qui en répondaient, étaient obligés de combler, de leurs propres deniers, le déficit des sommes perçues. Patritius aurait été une des nombreuses victimes de ce système désastreux. Mais il y avait, sans doute, bien des exceptions. Ensuite, rien, dans les souvenirs d’Augustin, ne nous autorise à croire que son père ait connu, je ne dis pas la misère, mais la gêne. Ce qui semble le plus probable, c’est qu’il vivotait du revenu de son bien, en petit propriétaire rural. En Afrique, on se contente de peu. Sauf quand l’année est exceptionnellement mauvaise, après une période de sécheresse persistante, ou une invasion de sauterelles, la terre rend toujours de quoi nourrir son maitre.