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Enfin, sur un renflement de terrain, Madaure apparaissait, toute blanche au milieu d’une vaste plaine, d’un gris fauve, où l’on ne voit plus rien aujourd’hui qu’un mausolée en ruines, les débris d’une forteresse byzantine, et de vagues vestiges évanescens.

C’est le premier étage du grand plateau qui s’abaisse vers Théveste et le massif de l’Aurès. Au sortir des régions bocagères de Thagaste, la nudité en est saisissante. Çà et là, des vaches maigres pâturent quelques touffes d’herbes poussées au bord d’un oued desséché. De petits ânes en liberté se sauvent au galop vers des tentes de nomades, noires et poilues comme d’énormes chauves-souris étalées dans la blondeur des terres. Auprès, le haïck rouge d’une femme surgit, unique tache éclatante qui rompe l’uniformité grisâtre de la plaine. On sent, ici, l’âpreté numide : c’est presque la désolation désertique. Mais, du côté de l’Est, des architectures de montagnes bizarrement sculptées relèvent la platitude de l’horizon. Sur les fonds clairs du ciel, se découpent des escarpemens en dents de scie, un cône pareil au simulacre mystique de Tanit. Vers le Sud, des érosions de roches isolées s’éparpillent, comme de gigantesques piédestaux découronnés de leurs statues, ou comme des buffets d’orgues dressées là pour capter et pour moduler la plainte des grands vents de la steppe.

Ce pays-ci est marqué d’un caractère autrement énergique que celui de Thagaste. On y a plus d’air, de lumière et d’espace. La végétation peut en être indigente : on n’en voit que mieux les belles formes de la terre. Rien n’y arrête ou n’y amortit les effets merveilleux de la lumière... Et qu’on ne dise pas que les yeux d’Augustin furent indifférens à tout cela, lui qui écrivait, après sa conversion et dans toute l’austérité de sa pénitence : Si les choses sensibles n’avaient pas une âme, on ne les aimerait pas tant.

C’est ici, à Madaure, à Thagaste, pendant les années avides de l’adolescence, qu’il amassa les germes de sensations et d’images, qui, plus tard, écloront en métaphores ardentes et bouillonnantes dans ses Confessions, ses homélies et ses para- phrases de l’Écriture. Après, il n’aura plus le temps, ou il ne pourra plus. La rhétorique étendra, pour lui, son voile de banalité sur la floraison sans cesse renouvelée du monde. L’ambition le détournera de ces spectacles qui ne se révèlent qu’aux