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Non moins que ce pays sévère jusqu’à la tristesse, mais brûlant et splendide, la ville de Madaure dut frapper Augustin.

C’était une vieille cité numide, qui se montrait fière de son antiquité. Longtemps avant la conquête romaine, elle était déjà une forteresse du roi Syphax. Les vainqueurs s’y installèrent ensuite, et, au second siècle de notre ère, Apulée, le plus illustre de ses nourrissons, pouvait déclarer non sans orgueil, devant un proconsul, que Madaure était une très florissante colonie. Sans doute, cette vieille ville n’était pas aussi romanisée que ses voisines, Thimgad et Lambèse, qui étaient de création récente et qui avaient été bâties d’un seul coup, par décret administratif. Mais elle pouvait l’être autant que Théveste, ville non moins ancienne et où la population était probablement aussi mêlée. Comme Théveste, elle avait ses temples à pilastres et à portiques corinthiens, ses arcs de triomphe (on en mettait partout), son forum entouré d’une galerie couverte et peuplé de statues. Les statues aussi étaient prodiguées en ce temps-là. Nous en connaissons au moins trois, dont Augustin nous parle dans une de ses lettres : un dieu Mars représenté dans sa nudité héroïque et un autre Mars armé de pied en cap ; en face, une statue d’homme, de style réaliste, avançait trois doigts pour conjurer le mauvais œil. Ces effigies familières étaient restées très présentes dans la mémoire d’Augustin. Le soir, ou à l’heure de la sieste, il s’était couché sous leurs piédestaux, il avait joué aux dés ou aux osselets dans l’ombre fraîche du dieu Mars ou de l’Homme aux doigts tendus. On était bien, pour jouer ou pour dormir, sur les dalles de marbre du portique.

Parmi ces statues, il s’en trouvait une peut-être qui attirait les regards de l’adolescent et qui excitait toutes ses ambitions naissantes, — celle d’Apulée, le grand homme de Madaure, l’orateur, le philosophe, le thaumaturge, dont on parlait d’un bout à l’autre de l’Afrique. A force de la contempler, d’entendre l’éloge du grand écrivain local, le jeune écolier aurait-il senti s’éveiller sa vocation ? Aurait-il eu, dès cette époque, la velléité confuse de devenir, un jour, un autre Apulée, un Apulée chrétien, — d’éclipser la réputation de ce païen célèbre ? Ces impressions et ces admirations de jeunesse ont toujours une influence plus ou moins marquée sur l’orientation d’un talent.

En tout cas, Augustin ne pouvait faire un pas dans Madaure, sans se heurter à la légende d’Apulée. Ses compatriotes l’avaient