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que d’envoyer leurs enfans achever leur éducation dans la capitale de la province. Patritius le désirait vivement pour son fils qui, à Madaure, s’était révélé un très brillant élève et qu’on ne pouvait laisser en si beau chemin. Mais la vie d’étudiant coûtait cher, et Patritius n’avait pas d’argent. Ses affaires étaient toujours fort embarrassées. Il était obligé d’attendre les rentrées de ses fermages, de pressurer ses métayers, et, en désespoir de cause, de solliciter des avances pécuniaires d’un riche patron. Cela demandait du temps et de la diplomatie.

Les jours, les mois se passaient, et Augustin, désœuvré, entraîné par les camaraderies faciles, se laissait aller aux plaisirs de son âge, comme les jeunes bourgeois de Thagaste : plaisirs un peu rudes et peu variés, tels qu’on pouvait se les procurer dans un petit municipe de ce temps-là, tels qu’ils sont restés pour les indigènes d’aujourd’hui, qu’il vivent de la vie citadine ou de la vie rurale : chasser, montera cheval, jouer aux jeux de hasard, boire, manger, faire l’amour : ils ne souhaitent rien au delà. Lorsque, dans ses Confessions, Augustin s’accuse de ses débauches d’adolescent, il emploie les expressions les plus flétrissantes. Il en parle avec horreur et dégoût. Nous sommes tentés, encore une fois, de croire qu’il exagère par excès de contrition chrétienne. Certaines personnes, mises en défiance par ce ton véhément, en arrivent même à contester la valeur historique des Confessions. Lorsque l’évêque d’Hippone les écrivit, ses sentimens et ses idées, nous dit-on, avaient changé. Il ne voyait plus du même œil ni dans le même esprit les événemens de sa jeunesse. Cela est trop sûr : il se jugeait alors en chrétien, et non en froid historien, qui ne dépasse pas le fait brutal. Lui, il essayait de démêler les origines et de suivre les conséquences de la plus humble de ses actions, parce que cela est d’une importance extrême pour le salut. Mais son jugement, si sévère qu’il soit, n’entame point la réalité du fait lui-même. D’ailleurs, dans une nature comme la sienne, des actes indifférens pour d’autres avaient un retentissement hors de proportion avec l’acte lui-même. La malice du péché dépend de la conscience qu’on en a et de la complaisance qu’on y met. Augustin était très intelligent et très voluptueux.

Quoi qu’il en soit, les jeunes Africains ont le tempérament précoce, et la luxure de la race est proverbiale. Ce devait être bien pis à une époque où l’Islam n’avait pas imposé aux mœurs