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bien sûr que tu as senti ce qu’il y avait de plus céleste et fait ce qu’il y avait de plus sage. Dieu me protégera à cause de toi. Adieu, nous nous reverrons, mais ceci, c’est adieu.

Quelques jours avant la date fixée pour le départ, M. Necker faisait venir dans sa chambre l’aîné de ses petits-fils, Auguste, qui était âgé de douze ans. M. Necker était très attaché à cet enfant qu’il avait souvent gardé avec lui à Coppet pendant les longs séjours de Mme de Staël à Paris. Il s’était beaucoup occupé de son éducation et faisait cas de lui. Il l’appelait : un honnête petit homme. L’enfant, au sortir de la chambre de son grand-père, écrivait tout ému le récit de cette conversation. Je reproduis ce récit dans sa forme enfantine :

13 septembre.

Ce jour restera éternellement dans ma mémoire. Papa (ses petits-enfans appelaient toujours ainsi M. Necker) m’a fait appeler dans sa chambre et m’a fait asseoir à côté de lui. « Mon cher Auguste, tu vas vraisemblablement me quitter pour longtemps. J’ai voulu te demander ce que ton cœur te disait sur l’existence d’un Dieu, en attendant que tu fasses un cours de religion complet pour ta première communion. Tu es né avec d’heureuses dispositions et je ne te connais pas de graves défauts. Tu es seulement trop susceptible sur les choses qui te regardent. Tâche de te corriger de ce défaut, car il est une vraie petitesse. Je te recommande de faire soir et matin une prière. Je ne veux pas te la dicter. Il suffit que tu élèves ton âme à l’Être suprême. Tu as surtout des devoirs à remplir envers ta mère, envers ta mère à laquelle je ne puis penser sans m’attendrir. Aime-la, respecte-la, par-dessus tout. Tu n’as point de père. Dieu t’appelle donc à être le protecteur de ta famille. Habitue-toi à être de bonne heure son appui, son soutien. Donne un bon exemple à ton frère ; sois le chevalier de ta sœur, mais surtout sois profondément reconnaissant de la peine que ta mère a prise pour ton éducation. Tâche en récompense de la rendre aussi heureuse que tu pourras. Pense à moi, écris-moi quelquefois. Mais, adieu ! Je ne veux pas prolonger mon émotion ; je suis faible, et elle pourrait me faire du mal. Dieu te bénisse ! »

« Il me serait impossible, continue le petit Auguste, d’exprimer l’impression que cette conversation a faite sur moi, quelle époque elle sera dans ma vie, combien je me propose d’en faire mon unique règle, avec quelle émotion je me la rappellerai toujours. » Et il termine ce récit en prenant ces nobles résolutions de l’enfance pieuse que la jeunesse et l’âge mûr ne tiennent pas toujours.

Trois jours après, le 16 septembre, Mme de Staël quittait