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Que Guillaume ou Louis le soumette à ses lois,
Entre ces deux tyrans irai-je faire un choix ?
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C’est ainsi que Nassau marche à l’autorité.
Quel augure, grand Dieu, pour notre liberté !
Je crains son caractère et jusqu’à sa sagesse.
Ce calme inaltérable, au sein de la jeunesse,
Loin de me rassurer me remplit de terreur.
Son intérêt déjà seul commande à son cœur :
On ne voit rien en lui qui soit involontaire.
Chaque pas a son but, chaque mot son mystère ;
Ses traits qu’à peine encore vingt ans ont embellis
Par de longs souvenirs semblent déjà flétris.
La vieillesse s’y place à côté de l’enfance.
Depuis ses premiers ans, avide de puissance,
L’art s’empara d’abord de cet esprit naissant,
Et prévint la nature à son premier accent.

Ces vers, qui ne font pas beaucoup d’honneur au talent poétique de Mme de Staël, en font davantage à sa sagacité. Le portrait de Bonaparte à vingt-huit ans ne laisse pas que d’être, par certains côtés, ressemblant, et lorsqu’elle dit du peuple de Hollande :


Indigne d’être libre, il peut être fidèle.


n’entrevoit-elle pas, d’un coup d’œil prophétique, ce que va être, pendant quinze ans, le peuple de France ?


Il

Mme de Staël passa les premiers mois de l’année 1798 à Coppet avec son père. Elle le quitta au commencement d’avril. Ce n’était jamais sans inquiétude que M. Necker la savait dans ce milieu de Paris encore si troublé. « J’ai toujours peur, ma chère Minette, lui écrivait-il, l’année précédente, que tu ne parles et que tu ne remues, et qu’un ennemi ne saute sur toi. » Il semble que cette année il l’ait vue partir avec une émotion particulière. Le lendemain même du jour où elle avait quitté Coppet, il lui adressait cette lettre touchante :

20 avril.

Chère Minette, je t’ai quittée avec bien de la peine et tu n’a pas jeté les yeux vers les trois fenêtres où j’ai été consécutivement pour voir encore